Au fil de la transmission. Entretien avec Clément Lebrun
Entretien
À l’occasion du concert éducatif « Au fil des cuivres » le 10 avril prochain à la Philharmonie de Paris, Clément Lebrun, présente le travail de médiation original de la musique du vingtième siècle à aujourd’hui qu’il mène depuis de nombreuses années, notamment avec l’Ensemble intercontemporain.
Clément Lebrun, depuis maintenant plusieurs années vous menez de nombreuses actions de médiation pour faciliter l’accès du public à la musique du vingtième siècle à aujourd’hui. Cette musique présente-t-elle des contraintes particulières pour un concert éducatif, par rapport à des répertoires plus « classiques » ?
Pour moi, il ne s’agit pas d’une contrainte mais d’un atout. Travailler avec un répertoire souvent méconnu du public ouvre justement le champ des possibles. Le répertoire de l’Ensemble intercontemporain, souvent très virtuose, permet d’éveiller l’écoute des enfants (et des parents) et d’aborder frontalement les questions fondamentales de la musique : faut-il une mélodie pour faire de la musique ? Le « bruit » est-il de la musique ? Quelles relations entretiennent les répertoires classique et actuel ?…
De mon point de vue, c’est du pain béni ! En tant que médiateur de la musique depuis maintenant quinze ans, je me délecte de jouer avec ces notions, dans des spectacles mis en scène avec des interprètes extrêmement engagés dans l’idée de faire vivre ce répertoire complexe, exigeant et pourtant si généreux et ouvert.
Le titre du prochain concert éducatif en avril est Au fil des cuivres : comment concevoir un concert axé autour d’une famille unique d’instruments ?
Le défi est de trouver suffisamment de pièces pour présenter tous les aspects d’une formation à travers son histoire. Concernant le quintette de cuivres, nous parlerons fanfares, appels de clairon et de cor de chasse, musiques de kiosque et bien entendu création moderne pour cette formation capable de glisser du son le plus doux aux nuances les plus fortes en quelques secondes. L’objectif est simple : que le public ait l’impression, en sortant du spectacle, d’avoir eu un aperçu très complet de l’historique et des potentialités des instruments présentés. Avec la volonté de lui donner envie d’aller plus loin s’il le désire.
Comment travaillez-vous avec les solistes de l’Ensemble dans l’élaboration du programme ?
C’est une réelle collaboration. Je leur demande d’abord quelles sont les œuvres déjà à leur répertoire. De là, je vois quels aspects de la formation pourraient manquer et je leur propose de trouver des pièces en lien avec telle ou telle notion. Un premier programme musical est ainsi choisi, que nous testons : qu’est-ce qui fonctionne et qu’est-ce qui ne fonctionne pas eu égard au propos pédagogique ? Cela nous amène parfois à le remanier et à ajouter ou enlever des pièces.
Enfin, afin de garder le plaisir au centre du jeu, nous laissons une part à l’improvisation pour faire la démonstration de modes d’émission du son, de registres, d’articulations, selon des consignes ou des contraintes fixées à l’avance.
Avez-vous une catégorie de public en tête lorsque vous imaginez un spectacle ?
Non, du moins pas au départ. Je pense sincèrement que toute notion est accessible à tous les publics. Ce n’est donc qu’après l’écriture du spectacle que je me pose la question de l’adaptation du discours et de la mise en scène selon le public visé (en général scolaire ou familial). La musique, quant à elle, sera toujours la même, et mon discours sera peu ou prou inchangé – seul le ton et la tournure changent. C’est pour moi tout l’enjeu de la médiation : l’exigence et l’adaptabilité du discours.
Dans ce genre de concert, vous jouez le rôle du « présentateur » : quel est le rôle du « commentaire » ? Comment s’articule-t-il aux œuvres ?
Nous devons alterner écoute, discours d’explication, et surtout moments de jeux, d’improvisations avec les musiciens et/ou le public pour créer une cohésion sur scène.
Le discours peut décrire le contenu d’une œuvre, apporter des éléments historiques concernant la biographie d’un compositeur, donner des informations organologiques ou sociologiques, mais aussi avoir recours à des images et des comparaisons pour faire passer certaines notions. J’essaie d’adapter le contenu de mon discours au tempo ou à l’ambiance de la pièce qui précède ou qui suit, ou au contraire, de créer un contrepoint rythmique, de la surprise, pour que l’auditeur réactive son écoute. Je pense que le rôle du médiateur dans un tel spectacle est tout aussi musical que la musique : ce n’est pas un concert présenté, c’est un spectacle vivant !
Photos : (c) Luc Hossepied pour l’Ensemble intercontemporain
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