Le réseau des reprises. Entretien avec Dieter Ammann, compositeur
Entretien
Le réseau des reprises est le titre de la nouvelle œuvre de Dieter Ammann. Elle sera créée le 2 octobre 2014 à Strasbourg dans le cadre du festival Musica. Le compositeur suisse revient sur la genèse de cette création et nous livre quelques clés de son parcours atypique.
Dieter Ammann, vous avez été très actif sur les scènes du jazz et des musiques improvisées : qu’est-ce qui vous a finalement fait pencher du côté de la musique écrite ?
Cela n’a pas été une décision réfléchie. Tout a commencé par une commande suivie de nombreuses autres. Comme je travaille très méticuleusement, et assez lentement, le temps m’a manqué, hélas, pour poursuivre ma carrière de musicien improvisateur. En outre, je peux, en tant que compositeur, exprimer mes idées au moyen de mon langage musical propre. J’ai le sentiment que je peux ainsi produire une contribution substantielle dans le domaine de la musique contemporaine, en approfondissant plutôt qu’en élargissant mon champ de travail.
Avez-vous le sentiment que votre musique garde encore, d’une manière ou d’une autre, les traces de votre expérience d’improvisateur et de jazz man ? On pense par exemple à certaines de vos pièces aux titres évocateurs : Morceau en forme d’improvisation (1995) ou Musica Empirica (1997-1998), par exemple ?
Je n’ai pas conscience d’une quelconque interaction entre les deux pratiques. En tant qu’improvisateur, je peux jouer avec les idées musicales sans y penser réellement. En tant que compositeur, j’ai besoin de les analyser en profondeur, de comprendre leur origine et leur potentiel pour un éventuel développement bref, je compose. Improviser, c’est saisir le moment présent, alors que le processus de composition permet de planifier en amont et autorise une réflexion au long cours. Toutefois, un critique musical a dit que j’étais capable d’insuffler l’énergie et la vitalité du jazz et du free-funk à mes compositions, sans sacrifier pour autant à la rigueur d’un idiome musical pointu.
Vous le disiez à l’instant, vous êtes connu pour la précision de votre écriture : mais l’improvisation a-t-elle une place dans votre musique ?
Pierre Boulez décrit ma musique comme la synthèse d’une spontanéité apparemment improvisée et d’une attention méticuleuse accordée à l’élaboration du processus compositionnel. Il a même inventé pour l’occasion l’expression « spontanéité artistique réfléchie ». Je crois que cette image peut apporter quelques éléments d’éclaircissement quant à l’effet immédiat que ma musique peut provoquer. Mais, dans ma pensée de compositeur, je veille à l’intégrité du traditionnel « Werkbegriff », qui exclut tout ce qui relève de l’improvisation.
Ce n’est pas la première fois que vous travaillez avec l’Ensemble intercontemporain : pourriez-vous nous dire quelques mots de la nouvelle œuvre qui sera créée à Strasbourg ?
Dans cette nouvelle œuvre, Le Réseau des reprises (photo de répétition ci-dessous), mon travail prend un nouveau tournant avec l’exploration du phénomène des répétitions et des variations appliquées à différents niveaux. Il s’agit d’une musique allant toujours de l’avant, une musique qui a la capacité de ménager des points culminants et des passages plus tranquilles. Du point de vue de la structure musicale globale, le principe de répétition s’applique sous forme de « reprise » étendue. L’auditeur pourra (si tout se passe comme prévu !) faire l’expérience de cette reprise de manière très personnelle, sa mémoire l’aidant à reconnaître la progression du matériau musical en évolution. Enfin, la texture de la pièce est dense, ce qui la rend très exigeante pour les musiciens.
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Photos (de haut en bas) : DR / partition de « Le réseau des reprises » / répétition de « Le réseau des reprises » © Luc Hossepied pour l’Ensemble intercontemporain
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