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[solo] Pascal Gallois, basson

Portrait By Bruno Serrou, le 15/01/2002

Pascal Gallois incarne le renouveau du basson. Il a su convaincre Luciano Berio d’écrire la Sequenza XII, pour basson, dont il est le dédicataire, et Pierre Boulez de composer pour son instrument une nouvelle version de Dialogue de l’ombre double. Le 31 janvier, il sera le soliste de torsion : transparent variation, la nouvelle création de la compositrice Olga Neuwirth, pour basson et ensemble, lors du festival Présences à la Maison de Radio France. Portrait d’un passionné.
 
Est-ce la personnalité de Pierre Boulez qui vous a attiré à l’Ensemble intercontemporain ? L’aviez-vous déjà rencontré ?
Pas avant le concours. Je ne le connaissais que par ses disques et par la presse. Le concours s’est déroulé de façon collégiale, devant un jury qu’il présidait. Ma motivation principale, celle qui m’a incité à me présenter au concours, a été satisfaite, car je comptais avant tout partager une partie de la vie musicale proposée par Pierre Boulez, et ce dans toute son ampleur.
 
Comment êtes-vous venu à ce répertoire ?
J’avais envie de faire de la musique contemporaine, mais le répertoire pour le basson manquait. J’écoutais ce qui s’écrivait pour les autres bois, la clarinette ou le hautbois. Un instrumentiste doit être curieux, fureteur. Il ne peut y avoir de rapport qu’avec le vivant ; la rencontre avec le compositeur est donc ce qui donne un sens à la musique. Ainsi, aidé d’amis, j’ai décidé d’amorcer une dynamique de construction d’un répertoire pour le basson. Berio, Boulez, Schœller, Hersant, Martin, Mantovani, Fénelon, Hosokawa, Sciarrino, Neuwirth et quelques autres ont bien voulu donner à cet instrument de nouvelles lettres de noblesse.
 
Comment avez-vous travaillé à la découverte des possibilités de votre instrument ?
Je suis autodidacte, puisqu’il n’y avait pas, alors, de répertoire contemporain pour le basson. J’ai travaillé les partitions programmées par l’Ensemble. Pour ce qui est des nouvelles techniques de l’instrument, le livre de référence, à l’époque, était celui de Bruno Bartolozzi, publié en 1971 chez Schott, en allemand, et qui regroupait les nouvelles possibilités instrumentales des bois (flûte, hautbois, clarinette et basson), potentialités sur lesquelles les compositeurs allaient eux-mêmes travailler au début des années 1980. Cette lecture m’a permis de découvrir les limites de l’instrument ; ce qui m’a fait gagner un temps considérable, quand on sait comment se déroule l’élaboration d’une œuvre : les partitions arrivent toujours trop tard, alors qu’il faut travailler les nouvelles techniques, les adapter, les maîtriser.
 
Vous souvenez-vous de la première œuvre nouvelle écrite à votre intention ?
Une pièce de Jean-Baptiste Devillers, À pic, pour basson et ensemble, que j’ai jouée en 1988 avec l’intercontemporain au Centre Georges-Pompidou sous la direction de Peter Eötvös. Ma première expérience de collaboration avec un compositeur s’est faite à l’extérieur de l’Ensemble. C’était en 1987 avec Philippe Hersant qui, depuis, a écrit sept pièces pour l’instrument : un concerto, une œuvre avec chœur, deux avec alto, une en trio, deux pièces solistes.
 
Vous travaillez actuellement avec Olga Neuwirth. A quelle occasion l’avez-vous rencontrée ?
En juillet 2000, à Darmstadt, où elle enseignait. Je connaissais quelques-unes de ses pièces, et sa musique m’intéressait. Je lui ai présenté ma méthode, fruit de dix ans de travail, qui est en cours d’édition. Dernièrement, avec Philippe Schœller, nous avons mis au point le mode « velvet » (velours, en anglais), sur le grave du basson, qui s’avère très intéressant. Il s’agit en fait d’un dérivé du son de la sourdine « velvet » pour les cuivres. Nous avons développé ce nouveau mode de jeu sur l’anche du basson. Schœller m’avait demandé de trouver des sons particulièrement détimbrés, très doux, pianississimo, dans le grave. J’ai ainsi pu ajouter un chapitre à mon recueil. Ce travail est donc une manière de work in progress, car chaque fois qu’un compositeur me pose des questions, je m’efforce de lui répondre de façon écrite et sonore. J’ai remis cet ouvrage à Olga Neuwirth, que j’ai revue en octobre à Berlin, lors d’un concert donné dans le cadre des Berliner Festwochen. Elle m’a demandé de nouveaux effets, notamment sur les glissandi sur les quintes aiguës. Elle a aussi souhaité que je me penche de nouveau sur le son « velvet », pour améliorer le grave. Rendez-vous est pris en décembre pour un enregistrement dans son studio de Graz sur quatre parties qu’elle veut enregistrer et qui serviront à l’élaboration de son Concerto.
 
Quel type d’œuvre recherchez-vous plus particulièrement ?
Il ne s’agit pas de ne commander que des pièces pour basson solo, ce serait très indigeste pour le public ! En revanche, les relations entre le basson et certains instruments qui lui sont rarement associés, tout en étant proches de son caractère, comme l’alto, le violoncelle, la harpe et la voix, sont particulièrement intéressantes.
 
En quoi sont-ils proches du basson ?
Tout d’abord par leur dynamique. Etymologiquement, « basson » signifie « son doux », et non « son grave ». L’instrument actuel dérive de la doulziane (ou douçaine), qui était jouée à l’intérieur des châteaux, contrairement au hautbois qui se pratiquait à l’extérieur. Le caractère de l’instrument est donc intimiste, tout comme l’alto et la harpe. Voilà un environnement que je tiens à solliciter : parmi la trentaine de pièces nouvelles nées ces dernières années, quatre-vingts pour cent émanent de complicités entre ces trois instruments.
 
Quelle place occupe la pédagogie dans votre activité ?
Une place très importante. J’ai eu l’honneur d’être le premier professeur de fagott (basson allemand, système Heckel) au Conservatoire de Paris, de 1994 à 2000. Depuis, je donne de nombreuses classes de maître, notamment en Italie et dans les pays germaniques. Ces cours s’adressent à des élèves ayant terminé leurs études, et qui ont atteint un niveau professionnel. Je travaille également avec des compositeurs et des élèves en composition, car je tiens à élargir mon champ pédagogique. Quand on a devant soi une classe de composition, que ce soit en Allemagne, en France ou en Italie, il est capital de montrer aux étudiants ce qu’est le basson, ce que l’on peut en faire, de telle sorte que lorsque ces élèves utilisent l’instrument, non seulement en soliste ou en musique de chambre mais aussi à l’orchestre, ils aient un panorama exhaustif de ses possibilités.
 
Quels sont votre dernière création et vos prochains projets ?
L’opéra Camera obscura du compositeur italien Marco Di Bari, œuvre dont le personnage central est le basson, qui a été créée le 29 septembre 2001 à Venise dans le cadre de la Biennale d’Art contemporain. L’objet de cet opéra, dont le thème est la cécité, est de communiquer au public, au moyen du son, les images intérieures perçues par un aveugle. Il y aura d’ailleurs une autre création de Marco Di Bari pour les concerts que j’organise, comme chaque année depuis 5 ans à Paris, Salle Cortot, les 14 et 16 mars 2002. C’est une flânerie transalpine que nous proposerons au public, une espèce d’instantané de la création contemporaine italienne depuis les années 1950.
 
Propos recueillis par Bruno Serrou