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[solo] Michel Cerutti, percussion

Portrait By Bruno Serrou, le 15/09/2001

Percussionniste à l’Ensemble intercontemporain depuis 1977, Michel Cerutti y joue en particulier du cymbalum, cette cithare hongroise chère à György Kurtág, mais aussi au Igor Stravinsky de Renard – et à Pierre Boulez dans Répons et Éclat. Soucieux des gestes, de l’attitude de l’interprète en scène, Michel Cerutti trouve tout naturellement le rôle principal dans le concert consacré à Peter Eötvös le 20 novembre prochain à la Cité de la musique : il y mènera le jeu dans Triangel, où le plus modeste des instruments de percussion régit la composition d’ensemble.
 
Quand êtes-vous entré à l’ensemble intercontemporain ?
Je suis l’un des tout premiers, puisque je suis arrivé en 1977, six mois après la création de l’Ensemble. Auparavant, j’avais fait mes études au Conservatoire de Paris. J’avais commencé la musique à huit ans par le piano au conservatoire de Metz, où je suis né. Mon professeur de piano avait conseillé à mes parents de me faire travailler un peu la percussion, pour progresser sur le plan rythmique. C’est ainsi que j’ai découvert la percussion à douze ans…
 
Avec quels instruments avez-vous abordé la percussion ?
Tous ! La caisse claire, le xylophone… Il est plus facile d’aborder la percussion après avoir fait des études de piano. Le piano est d’ailleurs un instrument à percussion, mais c’est surtout « l’Instrument » par excellence. Tous les musiciens devraient en jouer, parce qu’il apporte le toucher, la sonorité, l’harmonie, le répertoire, la culture musicale… C’est particulièrement important dans le cadre de l’apprentissage de la percussion, qui repose sur des sons frappés sur la caisse claire, donc hors de tout contexte musical. Aujourd’hui, je continue de jouer du piano, dès que j’ai un peu de temps. Mais je me suis vite rendu compte que la percussion correspondait plus à mon tempérament : je pouvais passer d’un timbre à un autre, et cet univers était d’une richesse infinie.
 
Quelles sont les qualités requises pour être percussionniste ?
Je pense que l’essentiel est le rapport physique à l’instrument. Le geste instrumental y est primordial, car il conditionne toute la richesse et la beauté des sonorités. Il faut aussi une grande faculté d’adaptation car chaque pièce crée un nouvel instrument. La variété des familles d’instruments demande une technique de jeu différente pour chacun d’eux. À la différence d’autres instruments classiques, l’histoire de la percussion n’est pas occidentale ; nous nous sommes approprié les instruments d’autres cultures, mais sous d’autres formes et en les coupant de leurs racines. Ce qui explique l’émergence tardive d’un répertoire encore très jeune. Aujourd’hui, nous disposons d’œuvres de référence, et beaucoup de compositeurs continuent d’innover. L’évolution de la percussion s’est faite en deux temps : après une première période orientée vers les peaux, métaux et bois (Edgard Varèse, John Cage), nous assistons, ces dernières années, à un développement des claviers (vibraphone, marimba, etc.). La technique du jeu à quatre baguettes s’est développée, suscitant des œuvres beaucoup plus virtuoses, qui nous conduisent à adapter des doigtés. Nous parlons désormais de phrasé et d’autres concepts interprétatifs encore jugés incongrus il n’y a pas si longtemps.
 
Quels sont vos instruments privilégiés ?
Ce n’est pas tellement l’instrument qui m’intéresse, mais le geste lui-même, la corrélation entre ce que je fais, en tant que percussionniste, sur l’instrument, et la situation dans laquelle je le joue. Parfois, un simple coup de tam-tam, ou de triangle, peut procurer une grande satisfaction. C’est ce que j’essaye de transmettre à mes étudiants du Conservatoire de Paris : toujours chercher, grâce au geste, la sonorité adaptée au contexte musical. C’est aussi dans cette optique que je me suis intéressé au cymbalum.
 
Qui vous a convaincu de vous mettre à cet instrument typiquement hongrois ?
Pierre Boulez. Il a écrit une partie de cymbalum dans Répons et aussi dans Éclat. Je trouvais cet instrument génial, mais la facture et l’organisation du clavier étaient un véritable casse-tête ! J’ai travaillé récemment avec György Kurtág : il connaît parfaitement l’instrument, et, dans l’une de ses pièces, il utilise un mi bémol aigu. Or, c’est un petit bout de corde coincé en haut à droite de l’instrument ; il a écrit cette note dans un passage particulièrement difficile et m’a fait recommencer, recommencer… Au bout d’un moment, je lui ai dit : « c’est l’enfer, ce petit mi bémol ! ». Alors il s’est mis à rire aux éclats et m’a répondu : « En Hongrie, on dit que c’est l’instrument du diable ! » C’est un instrument vraiment malcommode, mais le son est magnifique. La première pièce que j’ai jouée au cymbalum est Renard de Stravinsky. Et après m’avoir dirigé dans cette œuvre, Boulez m’a annoncé qu’il écrirait une partie de cymbalum solo dans sa prochaine partition, Répons.
 
L’informatique en temps réel est-elle adaptée à la percussion ?
Oui, car la richesse du spectre harmonique des instruments de percussion, qu’il s’agisse de peaux, de métaux ou de bois, offre un champ de recherche très étendu pour les compositeurs.
 
En novembre 2001, vous serez le soliste de la création française de Triangel pour percussion et dix-sept instruments, de Peter Eötvös…
J’attends ce moment avec impatience. Il n’y a pas véritablement d’improvisation dans cette pièce, mais le soliste fournit des propositions à l’orchestre et dialogue avec les différents groupes : cordes, bois, cuivres, etc. L’ensemble de l’œuvre se dévide entièrement à partir de la sonorité du triangle. On associe généralement cet instrument à un timbre aigu. En fait, si on le place près de l’oreille, on perçoit des fréquences très basses. Dans la pièce d’Eötvös, le triangle du soliste est à certains moments amplifié à l’aide de microphones, ce qui permet d’entendre ces fréquences graves.
 
Peter Eötvös fut pendant dix ans directeur musical de l’Ensemble intercontemporain. Parlez-nous de ce grand musicien.
Il est très intègre dans sa démarche musicale et va vraiment au fond des choses. Cela peut être agaçant parce qu’il est perfectionniste et ne renonce jamais à obtenir ce qu’il recherche. Comme chez les rares compositeurs qui mènent en même temps une carrière de chef d’orchestre, on peut dire qu’une fonction nourrit et enrichit l’autre. J’ai joué son Psaume 151, qu’il a dédié à Frank Zappa. J’ai apprécié l’originalité et la précision de sa démarche.
 
Peter Eötvös est-il familier de la percussion ?
Je crois qu’il essaye tout ce qu’il écrit, et il a donc probablement tous les instruments qu’il utilise chez lui. Dans Triangel, il n’a pas une démarche exclusive de compositeur, puisque les alliages de timbres dépendent du parcours du percussionniste et des relations qu’il entretient avec un groupe d’instruments. Il n’y a qu’un ou deux mouvements dans lesquels l’orchestre joue en tutti, et seule la percussion est constamment présente avec une part de création laissée à l’interprète : de quoi être impatient !
 
Propos recueillis par Bruno Serrou