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[solo] Hae-Sun Kang, violon

Portrait By Bruno Serrou, le 15/04/2001

La violoniste Hae-Sun Kang sera le 11 avril prochain, à la Cité de la musique, l’interprète du Concerto pour violon d’Ivan Fedele, dont elle avait assuré la création en 1999. Hae-Sun Kang a créé de nombreuses œuvres, parmi lesquelles Quad, le concerto pour violon de Pascal Dusapin en 1996, …prisme/incidences… de Michael Jarrell et Anthèmes 2, de Pierre Boulez, pour violon seul et dispositif électronique, en 1997. Portrait d’une interprète virtuose, toujours en quête de nouvelles découvertes.

Hae-sun kang, vous êtes originaire de Corée du Sud, un pays qui compte quantité de musiciens de renom international. Comment êtes-vous venue à la musique ?
J’ai commencé par le piano, car tout le monde jouait de cet instrument dans ma famille, plus particulièrement ma mère, qui était pianiste professionnelle, et ma sœur aînée. Je me suis d’ailleurs produite avec ma mère en Corée quand j’étais enfant. Et comme mon frère jouait du violoncelle, nous jouions tous ensemble en trio ou en quatuor. En fait, on m’a mise au violon à trois ans, parce que je ne cessais d’ennuyer ma sœur ! C’est le partenaire de ma mère en musique de chambre, lui-même violoniste, qui lui avait conseillé de me mettre au violon. Par la suite, je suis venue à Paris car c’était le rêve de ma mère, qui avait souhaité y faire ses études. Ma sœur et moi avons donc fait nos études ensemble à Paris. Ma sœur est devenue claveciniste professionnelle. Je me suis présentée au Conservatoire à quinze ans, dans la classe de Christian Ferras.

Est-ce vous qui avez choisi cet immense violoniste ?
En fait, c’est Ferras qui m’a choisie, parce que je n’étais inscrite dans aucune classe en particulier. J’étais très contente de travailler avec lui, quoiqu’il fût considéré comme un professeur « hors normes ». En tout cas, son enseignement me convenait parfaitement. Il m’a beaucoup appris, par exemple la façon de faire sonner le violon, le vibrato, les expressions. Mais il m’a enseignée bien au-delà du violon. La technique était pour lui secondaire, seule la musique l’intéressait. Ce sont de bons souvenirs. Malheureusement, il est décédé très tôt. Je commençais mon troisième cycle, après mon premier Prix, et ce fut un grand choc pour moi. Je passais un concours international, ma mère était présente et avait appris la nouvelle, mais ne m’a rien dit, de peur que je ne m’effondre.

Vous enseignez vous-même ?
Cela me semble une telle responsabilité… En fait, je crains de mal faire. J’ai eu personnellement tellement de mauvaises expériences ! Je préfère donner une idée globale plutôt que le détail. J’essaie toujours d’aider, de dire comment jouer mieux, comment faire sonner l’instrument, comment être plus expressif, mais je n’aime pas imposer mon propre style.

Comment êtes-vous entrée à l’Ensemble intercontemporain ?
C’était un rêve. Encore étudiante au Conservatoire, j’avais des amis qui y travaillaient, mais pendant longtemps il n’y a pas eu de place de violoniste à pourvoir. J’allais souvent aux concerts de l’Ensemble, et j’y ai joué comme supplémentaire à partir de 1992. Dès que j’ai su qu’une place se libérait, je me suis immédiatement présentée. C’est ainsi que je suis entrée en 1994.

Pourquoi avez-vous souhaité entrer à l’Ensemble intercontemporain ?
J’ai toujours été attirée par la musique du XXe siècle. Le romantisme, ce n’était pas mon « truc ». Je n’avais pas tellement envie de ressasser le Concerto de Tchaïkovsky, ou d’autres œuvres aussi célèbres du répertoire, des années durant… En fait, j’aime apprendre des œuvres nouvelles. À l’Ensemble, c’est ce que nous faisons tous les jours ! Cela demande beaucoup de travail, mais c’est cela qui m’intéresse.

Vous avez aussi la chance de côtoyer les compositeurs au quotidien.
C’est une chance inouïe de travailler avec tous ces grands créateurs et, pour l’avenir, de pouvoir transmettre une expérience acquise à la source de l’œuvre.

Avez-vous le sentiment que les compositeurs connaissent bien votre instrument ?
En général, oui. Lorsque je travaille avec un jeune compositeur, je le rencontre, nous discutons ensemble, nous faisons même des corrections. S’il n’habite pas à Paris, il peut m’arriver de lui jouer un passage plus ou moins difficile au téléphone pour en discuter !

Est-il important pour un violoniste de continuer à pratiquer le répertoire pour pouvoir jouer la musique contemporaine ?
Bien sûr ! Je donne d’autres concerts en dehors de l’Ensemble intercontemporain, où je travaille à deux tiers-temps. J’enseigne également au Conservatoire de Paris, et je fais de la musique de chambre. J’ai même eu un ensemble. Il est moins présent en ce moment, car chacun de nous est très occupé. Nous avons créé l’ensemble Concordia avec des amis venus pour la plupart de l’Orchestre de Paris ; il s’agit d’un quatuor à cordes avec flûte et clarinette, auquel s’ajoutent parfois une harpe, un piano ou d’autres instruments. J’estime qu’il est primordial de jouer le répertoire, car il ne faut pas oublier que la musique contemporaine s’appuie sur ce qui s’est fait au cours des siècles précédents. Nous ne pouvons interpréter la musique d’aujourd’hui sans savoir interpréter les musiques du passé. On a trop tendance à oublier que si une partie du public n’aime pas la musique contemporaine, c’est parce qu’elle est parfois mal interprétée. Il faut rendre expressives toutes les musiques qui existent.

En 1997, vous avez crée une œuvre qui a constitue un véritable évènement : Anthèmes 2 de Pierre Boulez. Peu d’interprètes ont eu la possibilité de travailler une œuvre nouvelle aussi développée avec lui. Pourquoi vous a-t-il choisie ?
C’est en effet une chance unique. Il m’a fait confiance. Il n’était pas au jury du concours qui m’a recrutée, mais il me connaissait, puisqu’il m’avait entendue à l’Orchestre de Paris lorsqu’il était venu le diriger.

N’avez-vous pas aussi ressenti le poids de cette création ?
J’ai en effet ressenti cette responsabilité terrible qu’il me fallait donner le maximum dans cette pièce, et j’ai fait le maximum. Cette œuvre existait déjà auparavant sous le nom d’Anthèmes, et Pierre Boulez y a ajouté une partie informatique en temps réel. La partition est arrivée tard, et beaucoup de pages me sont parvenues par télécopie, car Boulez se trouvait alors à Chicago. J’avais hâte de travailler l’œuvre parce je devais enregistrer les passages dont les sons devaient être transformés. Pendant qu’il composait, il m’a dit que s’il y avait des choses que je jugeais irréalisables, je devais le lui dire. Mais c’est vraiment une écriture pour violoniste, et tout a été possible. Depuis, je l’ai joué une vingtaine de fois, et Anthèmes 2 est d’ores et déjà un « classique ».

Est-ce important pour vous de jouer par cœur ?
C’est important dans la mesure où, si l’on joue par cœur ce genre de pièce, on ne pense vraiment plus qu’à la musique. Il y a aussi les éventuels problèmes liés à l’électronique en temps réel, qui peuvent être très déstabilisants pendant le concert. J’ai fait à Boulez la promesse de jouer Anthèmes 2 par cœur après les créations, en octobre 1997, et je crois qu’il en a été très content.

Quels sont vos projets ?
Je me rends en Corée, invitée par le Festival Isang Yun. Je vais y jouer le Concerto pour violon de Sofia Gubaïdulina et une pièce de Yun pour violon seul. Je viens de participer à l’enregistrement d’un disque consacré à Michael Jarrell, dans lequel je crée une pièce d’un quart d’heure pour violon seul, tirée du Concerto pour violon (que j’ai moi-même créé en 1999 dans le cadre du Festival Présences de Radio France). En avril, je joue à la Cité de la musique le Concerto pour violon d’Ivan Fedele, que j’ai créé il y a deux ans au Festival « Aspect des musiques d’aujourd’hui » de Caen.

Etre à l’Ensemble intercontemporain c’est aussi avoir l’opportunité de travailler avec l’Ircam. Cela vous intéresse-t-il particulièrement ?
C’est l’avenir ! L’expérience d’Anthèmes 2 m’a beaucoup plu, et j’aimerais recommencer. D’autant plus que j’aimerais collaborer à la construction d’un nouvel instrument, une sorte de violon électronique. Il y a des choses que je ne tente pas sur mon violon, qui est excellent et que je ne veux pas risquer d’abîmer. Mettre un nouvel instrument au point demande beaucoup de travail, mais je suis néanmoins vraiment prête à m’y investir. Il ne s’agit pas de faire n’importe quoi, mais un instrument aussi réussi que la flûte MIDI : un violon MIDI…

Propos recueillis par Bruno Serrou