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[solo] Antoine Curé : trompette

Portrait By Bruno Serrou, le 15/01/2001

« Le son transformé » : tel est le thème d’une série de concerts de musique de chambre mettant en évidence la volonté des compositeurs d’un retour à la prééminence du matériau sonore. Le programme du 18 mars, à l’Amphithéâtre de la Cité de la musique, est ainsi entièrement consacré aux cuivres. Antoine Curé y interprète une de ses œuvres-fétiches : Metallics, de Yan Maresz, pour trompette et électronique.
 
Quand êtes-vous entré à l’Ensemble intercontemporain ?
En 1981. Avant d’intégrer l’Ensemble, je m’y produisais comme musicien supplémentaire. A l’époque, je donnais beaucoup de récitals trompette et orgue : entre cent et cent vingt par an ! J’étais aussi à l’Orchestre Colonne, pour échapper aux transcriptions et pratiquer un peu le répertoire symphonique. Mais après dix ans chez Colonne, le répertoire m’a paru limité. On n’abordait pratiquement pas la musique contemporaine, et plus du tout la musique baroque. J’ai eu l’occasion de faire quelques expériences vraiment intéressantes dans l’ensemble 2e2m de Paul Méfano, et j’ai finalement saisi l’occasion que m’offrait le concours d’entrée à l’Ensemble intercontemporain.
 
Pourquoi avez-vous choisi la trompette ?
A la suite d’un concours de circonstances. J’ai commencé dans une fanfare, même pas par la trompette, mais par la petite « pichotte » en mi bémol, un petit tuba, parce que je n’avais que neuf ans. Puis, après un incident malencontreux, le président de la fanfare ne m’a plus prêté d’instrument. On m’a alors acheté une trompette d’occasion, et c’est ainsi que j’ai fait de la trompette ! Le tout premier concert auquel j’ai assisté fut un concert avec Duke Ellington. C’était à Caen, j’avais dix ans ; le « Duke » se produisait avec un trompettiste disparu depuis peu, Cat Anderson. C’est ainsi que tout a commencé. J’ai eu mon Prix à Caen à quatorze ans, ce qui était vraiment prématuré par rapport à mon expérience, aussi bien musicale qu’instrumentale. Puis je suis allé à Grenoble, où j’ai passé mon bac et fait deux ans à la faculté des sciences, et enfin je suis entré au Conservatoire de Paris.
 
Qu’est-ce qui vous a séduit dans la trompette ?
Au départ, c’était mon admiration pour Miles Davis, Clark Terry, Clifford Brown, Dizzy Gillespie, les premiers trompettistes que j’ai eu l’occasion d’entendre – j’ai même rencontré Gillespie à Grenoble –, et Maurice André, qui est un modèle pour des générations de trompettistes. Il a apporté à tous les jeunes qui se lançaient dans cette voie une motivation extraordinaire.
 
Jouez-vous de toutes les trompettes ?
Oui. Y compris le bugle et le cornet à pistons. Il y a aussi la trompette à coulisse, dont je possède un exemplaire, qui permet de faire des glissandi parfaits sur une quarte ou une quinte, voire sur toute la largeur de la tessiture, et de faire plus aisément des quarts de tons.
 
Il y a aussi toute une gamme de sourdines…
Les trompettistes sont en effet les plus riches en sourdines, puisque nous avons une bonne dizaine de modèles à notre disposition. Elles permettent de modifier l’intensité sonore, de même que les techniques de respiration, ou de jeu, qui ont suffisamment évolué pour offrir un éventail de nuances très étendu, sans avoir à user d’artifices ; mais elles permettent aussi de changer la couleur du son et de modifier le timbre. Il est vrai qu’il existe de plus en plus de sourdines, fabriquées dans des matériaux divers : carton, bois, carbone, métal, etc. On arrive ainsi à étendre considérablement la palette de timbres et de nuances.
 
Les compositeurs doivent donc être au fait de tout cela. Travaillez-vous souvent avec eux ?
Oui. D’ailleurs, les compositeurs qui sont passés par l’Ircam connaissent bien les sourdines. J’ai participé à ce genre d’étude avec plaisir, en tant que « cobaye », mais c’est surtout Benny Sluchin qui a travaillé sur cette question pour le trombone. Trompette et trombone disposent des mêmes types de sourdines de base, qui, si elles n’ont pas la même taille, ont des effets analogues sur le son. Les jeunes compositeurs sont de plus en plus demandeurs, et, de temps en temps, je vais faire un tour au Conservatoire de Paris à la demande du professeur de composition. Je donne aussi des master classes en province, et j’ai gardé des contacts avec des professeurs de composition, notamment à Strasbourg où j’ai fait une intervention dans la classe de Philippe Fénelon : bien sûr, j’avais emmené mon cabas de sourdines ! Il faut expliquer aux compositeurs que certaines sourdines altèrent souvent de façon sensible la hauteur du son, et qu’ils s’exposent à de petits problèmes de justesse si, comme cela arrive parfois, ils ne nous laissent pas un temps suffisant pour les mettre ou les ôter. Le niveau de la facture instrumentale a pas mal évolué, ainsi que celui des jeunes interprètes, ce qui est une bonne chose et permet aux compositeurs d’aller explorer les domaines les plus « scabreux » de l’instrument !
 
Comment vous expliquez-vous l’intérêt que les musiciens de jazz ont toujours porté à la trompette ?
D’abord par le fait que la trompette était un instrument de rue, de foire, de fête. Le son n’est pas facile à produire, mais l’instrument a de la voix, et il n’y avait pas de micro en 1900. Pour ma part, je ne joue du jazz que pour le plaisir. Je suis fou de jazz, mais c’est un autre métier. Les musiciens « classiques » doivent retravailler la sonorité, le phrasé, la technique de jeu. Les deux expériences s’enrichissent l’une l’autre, bien sûr. J’ai tenté un rapprochement entre les différents styles dans un disque enregistré il y a quelques années : trois concertos que j’avais commandés à Jean-Michel Defaye (arrangeur, entre autres, de Michel Legrand et ancien trompettiste). Je voulais créer une passerelle entre le jazz, la musique contemporaine et la musique classique qui puisse réconcilier tout le monde et où chacun puisse se retrouver un peu. L’objectif a été si bien atteint que le disque ne s’est pas du tout vendu…
 
Eprouvez-vous du plaisir à travailler avec les compositeurs ? Cela vous apparaît-il capital dans votre vie de musicien ?
Cela dépend d’abord d’un facteur essentiel : ai-je des atomes crochus avec le compositeur, aussi bien sur le plan musical que sur le plan de la relation humaine ? Je suppose que les compositeurs ont la même attitude à notre égard. Je pense à ma collaboration avec Yan Maresz, notamment pour le film Metallics tourné à l’Ircam, qui a engendré des liens d’amitié. Cela dépend aussi des pièces, selon qu’elles sont pour instrument soliste ou pour ensemble. Dans ce dernier cas, les compositeurs nous demandent des précisions sur certains détails. Manoury le fait souvent : « J’ai pensé mettre du bugle, à cet endroit-là, plutôt que de la trompette qu’est-ce que tu en penses ? ». Mais c’est à l’occasion de l’élaboration d’une pièce soliste, que ce soit à la suite d’une commande ou du propre choix du compositeur, que peut s’instaurer une véritable relation. Je ne dis pas que l’on écrit la pièce ensemble, parce qu’elle reste celle du compositeur, mais je peux lui dire : « n’écris pas ça, tu vas au casse-pipe », ou : « ça ne va pas sonner… ». Il faut friser le risque, mais sans aller à la faute.
 
Comment cela s’est-il passé pour Metallics?
Yan Maresz avait écrit cette pièce avant que nous travaillions ensemble, car elle avait été créée à l’Ircam par l’un de mes élèves, Laurent Beaumont. Puis, elle a été reprise pour l’Ensemble, et c’est alors que la bande a été remaniée. Prévue à l’origine pour trompette et dispositif électronique, cette pièce devenait difficilement « transportable », pour des raisons à la fois techniques et logistiques. Tous les effets électroniques ont donc été enregistrés à partir du son de la trompette et regroupés sur une bande, avec laquelle nous jouons l’œuvre depuis. Cette pièce a été inscrite au programme des prix de sortie du Conservatoire de Paris voilà deux ans.
 
Le compositeur György Kurtág est en ce moment en résidence à la Cité de la musique. Travaillez-vous avec lui ?
Je travaille avec lui dans le cadre de l’Ensemble intercontemporain mais pas à titre individuel, et je le regrette. Nous avons été séduits par l’extraordinaire sens musical de ce compositeur hors du commun qui sait très exactement ce qu’il veut entendre. Mon regret est qu’il ne se tourne pas un peu plus vers les cuivres, et la trompette en particulier, qui est un instrument récent dans sa facture actuelle – environ 1880 – et qui compte sur les compositeurs d’aujourd’hui pour élargir son répertoire, fort pauvre en comparaison de celui des cordes ou du piano. Un instrumentiste est toujours flatté de se voir dédier une pièce, mais, pour ce qui est de notre instrument, c’est la famille des trompettistes tout entière qui est concernée lorsqu’elle s’enrichit d’une œuvre nouvelle.
 
Propos recueillis par Bruno Serrou