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Anna Thorvaldsdottir : nature, textures, structures.

Portrait Par Laurent Vilarem, le 09/01/2020

« La plus grande force musicale islandaise depuis Björk ». C’est ainsi que le Financial Times décrivait récemment la compositrice islandaise Anna Thorvaldsdottir dont l’EIC jouera Hrim, une œuvre inédite en France, le 19 janvier à Dijon. Portrait d’une étoile montante de la création musicale.

 

D’ Anna Thorvaldsdottir, le Financial Times dit qu’elle est la plus grande force musicale islandaise depuis Björk. Une enfance entre montagne et océan, à Bogarnes, une ville côtière au Nord de Reykjavik. Etudes en Californie, plusieurs grands prix internationaux (Nordic Council Music Prize en 2012, Kravis Emerging Composer du New York Philharmonic en 2015) suivis d’un disque monographique sous la prestigieuse étiquette Deutsche Grammophon couronnent un parcours sans fautes.

La compositrice vit aujourd’hui près de Londres, mais impossible de ne pas songer, à l’écoute de sa musique ample et translucide, à son île natale. En 2017, l’Ensemble intercontemporain lui demandait de participer à Genesis, une création collective de sept œuvres sur les sept jours de la création. Pour ce grand concert anniversaire des 40 ans, elle avait tout naturellement choisi le quatrième jour, le jour de la création de la lumière et signé Illumine. Il y a dans les œuvres de la « protégée » des chefs Alan Gilbert et Esa-Pekka Salonen une force élémentaire propre aux paysages islandais : changements brusques de lumière, puissantes coulées de lave charriant austères blocs sonores et textures nuageuses en quarts de ton. Une musique organique. Un magnifique bain de couleurs instrumentales.

Aldeyjarfoss, Islande

Le directeur du Dark Days Music Festival de Reykjavik Gunnar Karel Masson a une belle formule pour décrire la musique de Thorvaldsdottir : « Il y a quelque chose de mystérieux dans la musique d’Anna. C’est comme si elle bâtissait une merveilleuse maison : tout y est somptueusement construit et agencé, mais il y a quelque chose d’effrayant caché dans le grenier ». La compositrice parle plutôt de « monde sonore mouvant », respectant l’écologie du son et aboutissant à des atmosphères très lyriques. Episode crucial de l’écriture musicale : le premier geste, les esquisses qu’il s’agit de faire grandir. A l’instar des spectraux, tels les Français Gérard Grisey et Tristan Murail, elle cherche son inspiration dans les phénomènes naturels, minutieusement construits et qui se développent dans d’impressionnants processus. Dans Hrim (2010) que l’ensemble joue à l’Opéra de Dijon le 19 janvier, cette passionnée d’arts plastiques part de la lente croissance des cristaux de glace pour brosser une majestueuse tapisserie sonore, vitrail de lumières enivrantes pour quatorze instruments. Le compagnon idéal du Concerto de chambre, chef-d’œuvre de György Ligeti.

Amoureuse des textures et des fusions instrumentales, la jeune quadragénaire trouve dans l’orchestre son instrument de prédilection. Dans le récent Metacosmos (créé par le New York Philharmonic et repris par les orchestres de Berlin et San Francisco), cette ancienne violoncelliste se proposait de décrire « la sensation d’entrer dans un trou noir », en combinant « la beauté et le chaos ». C’est bien cela la musique d’Anna Thorvaldsdottir : suivre un passage jusqu’à ne plus pouvoir rebrousser chemin, porter une harmonie comme « une fleur fragile à tenir dans ses mains sur une corde raide » et voir où la route nous mène. On se souvient de la phrase de Gérard Grisey qui parlait de sa musique comme d’une « alliance du délire et de la forme ». La compositrice islandaise part, elle, d’une forme minutieusement pensée, pour parvenir à des univers inconnus, délirants, visionnaires. Fragile en apparence, sa musique nous renverse.

 

Photos (de haut en bas) : © Anna Maggý / Aldeyjarfoss, Islande, 2018 © Luc Hossepied / Anna Thorvaldsdottir et l’EIC pour le projet Genesis en mars 2017 à la Cité de la musique, Paris © EIC