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« Deserti ». Entretien avec Aureliano Cattaneo, compositeur.

Entretien Par Jéremie Szpirglas, le 11/04/2019

Le vendredi 12 avril prochain, dans le cadre du concert immersif « In Between » à la Philharmonie de Paris, l’Ensemble intercontemporain créera deserti du compositeur italien Aureliano Cattaneo. Une nouvelle œuvre pour ensemble dont le titre fait référence à un madrigal de Luca Marenzio (1553-1599), lui même inspiré d’un vers du poète florentin Pétrarque  : solo e pensoso i piú deserti campi ( Seul, pensif, j’arpente les champs déserts ).  

Aureliano, votre nouvelle œuvre, commande de l’EIC, sera créée dans un contexte particulier : le concert « In Between », imaginé en collaboration avec le metteur en scène Alexander Fahima et le plasticien Nándor Angstenberger. Comment avez-vous réagi en l’apprenant ?

À l’origine, la commande n’était pas liée à ce projet spécifiquement. Mais lorsqu’on m’a informé que ma pièce serait jouée dans ce cadre particulier, j’ai été frappé par la coïncidence et la proximité entre mes premières idées musicales et l’instrumentation que j’avais choisi pour deserti, d’une part, et le concept général d’« In Between », d’autre part. L’idée principale de deserti est effectivement la dichotomie entre deux situations aux antipodes l’une de l’autre : un rythme agressif et répétitif d’une part, qui, introduit par les percussions, gagne tout l’ensemble instrumental, et une ligne harmonique très fluide et ondoyante, à la manière d’une soupe primordiale.

Cela a-t-il changé votre approche de la composition ?

Les fondations de la pièce étaient déjà posées dans mon esprit avant d’apprendre la chose. J’aurais donc probablement composé la même pièce, quand bien même elle aurait été destinée pour un contexte différent. Mais il est certain que le concept d’« In Between » m’a accompagné et inspiré tout au long du processus de composition.

S’agissant toujours d’« In Between », d’entre-deux, vous ouvrez souvent, dans votre processus de composition, un dialogue avec l’histoire de la musique : qu’en est-il ici ?

Dans deserti, je dialogue effectivement avec la Renaissance italienne. Le titre, notamment, fait référence à un madrigal de Luca Marenzio, solo e pensoso i piú deserti campi , et à un passage de Zefiro torna e’l bel tempo rimena de Claudio Monteverdi, deux œuvres qui s’appuient sur des poèmes de Pétrarque. Mon approche d’un passé musical ne passe jamais par la citation : la démarche est plus indirecte et conceptuelle. Dans le cas de deserti, je suis parti de ma grande fascination pour le début fameux du madrigal de Marenzio : une gamme chromatique ascendante tenue en longues notes par le soprano. Cette gamme figure une forme d’horizon sonore, d’où émergent et avec lequel s’entrelacent les autres voix afin d’exprimer la solitude du poète qui chemine lentement dans un paysage de campagne. J’ai voulu réinvestir cette gamme chromatique ascendante, non pas en tant qu’horizon, mais en tant que fondation, squelette formel de la pièce. La structure de deserti s’appuie ainsi sur trois montées, de différentes durées, de cette gamme chromatique, trois cycles quasi-spectraux, qui fournissent l’essentiel du contenu harmonique.

À la fin de « Zefiro torna », Monteverdi citait déjà le début du madrigal de Marenzio (non pas les chromatismes du soprano, mais les arpèges des autres voix), et s’en servait pour exprimer la souffrance et la rigueur, dans ce qui est sans doute l’un des passages les plus touchants, expressifs et déchirants de sa musique. Le passage en question est certes court, mais son recours à la dissonance est bouleversant. J’ai quant à moi imaginé traduire et transposer cette dissonance à l’univers microtonal.

 

Photos © EIC