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Traverser les clichés. Entretien avec Pierre-Yves Macé

Entretien Par Pierre-Yves Macé, le 01/10/2018

Le 26 octobre, l’EIC créera Rumorarium de Pierre-Yves Macé. Invité à se livrer à l’exercice de l’auto-interview, le compositeur a choisi de solliciter plusieurs de ses amis artistes. Il leur a demandé de lui poser les questions qui leur venaient à l’esprit à la lecture de la note d’intention de l’œuvre. L’entretien qui suit a donc été réalisé à partir d’échanges  avec Mathieu Bonilla, compositeur, Nicole Caligaris, écrivaine, Gaëlle Hippolyte, artiste, Sébastien Roux, compositeur, et Pierre Senges, écrivain.

 

Pierre-Yves, pour commencer, peux-tu nous décrire les chemins qui t’ont mené à Rumorarium

Cela fait une dizaine d’années que je développe, dans des contextes musicaux divers, des procédures de « recyclage » musical. J’appelle ainsi une forme de citation qui altère substantiellement la physionomie du matériau premier, pour le réduire à une simple intention de « faire musique » : un commencement, un balbutiement – ce que je nomme « rumeur ». D’où une certaine prédilection pour les matériaux pauvres. Dans Passagenweg (2005-2009), j’échantillonnais les introductions instrumentales de chansons rétro des années 1930-1940. Ici, je compose une pièce mixte (instrumentale et électroacoustique) à partir d’enregistrements de musiques de rue – un corpus que j’ai demandé à l’artiste sonore Jeanne Robet de constituer pour cette occasion.

 

Lui as-tu donné des consignes spécifiques ? Avez-vous convenu ensemble de types de musiques, de prises de son, d’environnements sonores ?

Le répertoire joué m’était totalement indifférent, mais je tenais à ce que ce soit des instruments solos acoustiques (ni groupe, ni bande préenregistrée). J’ai également suggéré de varier plusieurs paramètres : les instruments de musique, bien sûr, les lieux de prise de son, les distances entre micro et instruments, afin que les instruments soient plus ou moins fondus dans leur environnement. Car le « paysage sonore » urbain m’intéresse autant que les musiques ; ou plutôt, c’est la relation entre les deux plans qui me fascine : relation purement accidentelle, mais rendue nécessaire a posteriori grâce à la médiation phonographique.

Vas-tu utiliser ce matériau brut, ou bien le transformer ? Pourrais-tu décrire le dispositif de diffusion que tu comptes employer ?

Les sources resteront à un état relativement brut, mais je vais les faire « jouer » par le pianiste de l’ensemble, à partir d’un échantillonneur à clavier, comme pour constituer un orgue à bruits, ou plus précisément un orgue à musiques trouvées. Ce couplage entre électronique et gestuelle instrumentale agit en retour sur l’écriture instrumentale qui est assez largement « claviériste », avec des cuts, des répétitions, des alliages de couleurs, toute une petite chimie héritée des jeux d’orgue. L’idée étant de construire une forme par prolifération à partir des traces d’un presque-rien musical.


Disposition scénique de Rumorarium de Pierre-Yves Macé

 

Le titre Rumorarium fait penser au Roaratorio ? Que représente pour toi la pièce de John Cage ?

Ce titre mérite en effet une explication. J’ai longtemps été persuadé, par je ne sais quelle bifurcation mentale, que « rumorarium » était le nom de l’orgue à bruits inventé par Luigi Russolo, le bruitiste italien (l’orgue s’appelle en réalité « intonarumori »). M’apercevant de l’erreur, j’ai réalisé que ce mot inventé de « rumorarium », qui sonne comme du latin de cuisine ou comme une onomatopée improbable, était un titre tout indiqué pour mon projet : je cherche à mettre en sons un « vivarium de rumeurs ». Mais la proximité avec Roaratorione s’arrête pas au titre : ma pièce emprunte à Cage l’intention d’« ouvrir les fenêtres », de faire entrer du réel dans l’œuvre.

 

Enfin, une pièce sans citation, « à partir de rien », te semble-t-elle encore possible ?

Mais oui ! Il m’arrive encore d’écrire de la musique sans matériau citationnel. Toute la question étant de savoir s’il est possible d’écrire à partir de rien, car, lorsqu’il ne s’agit pas de citations per se, tout un arsenal d’idées réflexes, d’emprunts involontaires ou de clichés parasite immanquablement le geste d’écriture. Il me semble que lorsque je travaille ainsi en « recyclant » des musiques préexistantes, je radicalise une manière de faire qui s’applique à toutes mes pièces : je traverse, transperce le cliché – la forme d’expression pétrifiée – pour atteindre à une expression que j’espère singulière et vivante. Je « com-pose », donc, ce qui a déjà été premièrement « posé ».

 

 

Photo © Vincent Pontet