Afficher le menu

Des Canyons aux étoiles…

Éclairage Par Olivier Messiaen, le 19/02/2018


Quand il découvrit les canyons et les déserts de l’Utah, Olivier Messiaen fût tellement émerveillé qu’il composa une immense fresque musicale, Des Canyons aux étoiles… Un chef-d’œuvre en forme d’hymne à la nature qui sera joué le 16 mars prochain à la Philharmonie de Paris par l’EIC et l’Ensemble Lucerne Festival Alumni, sous la direction de Matthias Pintscher. Témoignage du compositeur sur une expérience aux multiples dimensions.

« Aller à Bryce Canyon n’est pas une petite affaire ! Mais quand on est dans le canyon, c’est extraordi­naire, c’est divin ! C’est totalement désert et sauvage. La visite (qui peut durer des semaines) ne peut se faire qu’à pied. Elle est sans danger et les sentiers balisés permettent de ne pas se perdre. Enfin, il faut choisir une bonne époque. Pour moi, la bonne époque, c’est celle où j’entends des chants d’oiseaux, c’est-à-dire le printemps. Je suis donc parti seul avec ma femme dans le canyon. C’était merveilleux, grandiose, nous étions plongés dans le silence total. Et l’on découvrait ces formidables rochers teintés de toutes les nuances possibles de rouge, d’orange et de violet, ces formes étonnantes provoquées par l’érosion, formes de châteaux, de tours, de ponts, de fenêtres, de colonnes ! Nous nous sommes promenés pendant plus de huit jours dans le canyon et j’ai noté tous les chants d’oiseaux. J’ai noté également toutes les odeurs de la sage, une plante odoriférante qui pousse là-bas en grande quantité. Et j’ai noté évidemment le vertige des gouffres, la beauté des formes et des couleurs du canyon. Mais je ne me suis pas contenté de ma visite à Bryce Canyon. J’ai voulu connaître, à proximité, deux autres canyons : Cedar Breaks et Zion Park.

Bryce Canyon est vraiment ce qu’il y a de plus beau aux États-Unis. La couleur y est fantastique en plein jour, et plus encore au lever et au coucher du soleil, quand le rouge-orange se teinte de violet. C’est immense. Sur des centaines de kilomètres, tout est orange et rouge, et l’on découvre sans cesse de nouveaux chemins, de nouveaux paysages. Cedar Breaks est plus petit mais très impressionnant. Le vent y souffle très fort et la terre est un peu enneigée. C’est un grand amphithéâtre, très profond, où se dressent aussi tourelles et donjons, mais dont les dimensions donnent le vertige. Les couleurs y sont plus mêlées : on y distingue du rouge, du jaune, du violet, du brun, du gris et du blanc. L’ensemble donne une impression plus dramatique que j’ai voulu traduire musicalement en me rapprochant du sentiment de la crainte.

Olivier Messiaen à Bryce Canyon

Enfin, à Zion Park, j’ai encore découvert un paysage différent. On y trouve aussi des rochers, mais l’aspect général est plus verdoyant, avec des arbres et une rivière. J’aurais voulu poursuivre mon voyage, connaître les autres États à proximité de l’Utah, mais je n’ai pas pu. Bryce Canyon est la plus grande merveille de l’Utah. C’est un cirque gigantesque de roches rouges, orange, violettes, aux formes fantastiques : châteaux, tours carrées, tours ventrues, fenêtres naturelles, ponts, statues, colonnes, des villes entières avec, de temps à autre, un trou noir et profond. On peut admirer d’en haut cette forêt de pierre et de sable pétrifié (altitude : 2 500 mètres environ) ou descendre au fond des gouffres et marcher sous ces architectures féeriques. Voici un oiseau superbe : le Geai de Steller (anglais : Steller’s Jay) : son ventre, ses ailes et sa longue queue sont bleus – la tête et la huppe sont noires. Lorsqu’il vole au-dessus du canyon, le bleu de son vol et le rouge des rochers ont la splendeur des vitraux gothiques. La musique de la pièce* essaye de reproduire toutes ces couleurs. La forme est proche des triades grecques. »

 

 

* Bryce Canyon et les roches rouge-orange, septième partie des Canyons aux étoiles…

 

Texte extrait de : Claude Samuel, Permanences d’Olivier Messiaen : dialogues et commentaires © Actes Sud 1999

Photos (de haut en bas) : Bryce Canyon © Deposit photos / Olivier Messiaen à Bryce Canyon, 1971 / DR