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Le Roi fou et l’enfant terrible.

Éclairage Par Jéremie Szpirglas, le 02/05/2016

DAVIES, Sir Peter Maxwell - portrait c.1967 English composer b.1934 ©Lebrecht. This image is the property and copyright of Lebrecht Music and Arts. The moral rights of LMA and its Authors have been asserted. The image cannot be reproduced without obtaining a licence from www.lebrecht.co.uk

Le 27 mai prochain à la Philharmonie de Paris, le baryton Georg Nigl et l’Ensemble intercontemporain en formation réduite interprèteront Eight Songs for a Mad King (1969) du compositeur britannique récemment disparu, Sir Peter Maxwell Davies. L’occasion de se pencher sur cette singulière œuvre de théâtre musical, qui mérite d’être redécouverte.

Sir Peter Maxwell Davies n’est pas un compositeur comme les autres. Même ses débuts ne ressemblent à aucun autre : à 14 ans, il soumet l’un de ses partitions à une émission de radio, attirant aussitôt l’attention de ses producteurs et animateurs qui font de lui un enfant prodige de l’ère radiophonique. Il suit toutefois également une formation musicale plus traditionnelle — il bénéficiera ainsi des conseils et soutiens de Benjamin Britten, de Goffredo Petrassi (à Rome), et d’Aaron Copland, Roger Sessions ou encore Milton Babbit (à Princeton). Au cours de ses études à l’Université de Manchester, il fonde, avec plusieurs de ses condisciples, dont Harrison Birtwistle, le groupe New Music Manchester.
Personnage haut en couleurs, Maxwell Davies (Max pour les intimes) n’a pas sa langue dans sa poche : son militantisme ouvertement républicain (dans un pays monarchique) et écologiste (il compose son Yellow Cake Revue pour protester contre l’ouverture d’une mine d’uranium) le font rapidement connaître comme l’enfant terrible de la création musicale britannique. Quant à son approche résolument iconoclaste de la composition, de ses dogmes et de ses coutumes, elle « choque » a de nombreuses reprises la critique comme le public.
Dès ses premières partitions, il invente un langage délibérément polystylistique, empruntant avec une insolence jubilatoire à une grande variété de langages et de traditions. Dans sa Sinfonia (1962), par exemple, il utilise un langage sériel, combiné à des figures compositionnelles du Moyen Âge et de la Renaissance. St Thomas Wake (1969) est le lieu d’un carambolage entre le foxtrot et la musique du virginaliste élisabéthain John Bull. Au cours de sa longue carrière, il n’hésitera pas non plus à pêcher dans le rock ou dans le vaste répertoire traditionnel écossais.
2_Eight songs

À ce titre, Eight Songs for a Mad King (1969) représente un sommet dans le parcours de Peter Maxwell Davies. L’œuvre est destinée aux Pierrot Players, un ensemble de chambre modelé sur l’effectif du Pierrot Lunaire, qu’il a fondé en 1967 avec Harrison Birtwistle, pour explorer notamment le domaine du théâtre musical. S’appuyant sur un livret de Randolph Stow, ce cycle de chansons, qui est aussi une expérience scénique acide, convoque la figure de George III pour une saisissante représentation de la folie. Le roi fou, qui régna sur le gigantesque empire britannique de 1760 à 1820, y est dépeint reclus auprès de ses oiseaux, s’efforçant de leur apprendre à chanter. Non content de s’attaquer ainsi à la figure d’un monarque et donc aux dérives de ce système politique, il n’hésite pas à parodier et détourner au passage quelques monuments de la musique — de ceux qui sont intrinsèquement associés à l’histoire et à la culture de son pays, à commencer par le Messie de Haendel.
Inutile de préciser que ce chef-d’œuvre follement drôle et absurde déclencha à l’époque un véritable scandale.
Dans le même temps, Eight Songs for a Mad King marque aussi un tournant paradoxal dans la carrière de son compositeur. À la fin des années 1960, Maxwell Davies s’installe dans les Orcades, petit chapelet d’îles au nord de l’Écosse, où il demeurera jusqu’à sa mort récente en mars 2016. Son écriture s’assagit peu à peu au cours de la décennie suivante, devenant plus lyrique. S’il se distingue à nouveau en devenant en 1996 le premier compositeur réellement connecté, en lançant son site internet MaxOpus, il se fond dans l’establishment au point d’être anoblit par la Reine (qui le convertira aux bienfaits de la monarchie) et de devenir son Maître de Musique.

 

3-Maxwell Davis

Photos et illustrations (de haut en bas) : © David Farrell/Lebrecht Music & Arts / extrait de la partition © Boosey& Hawkes / DR