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De la technique du mille-feuilles, entretien avec Laurent Langlois

Entretien Par Véronique Brindeau, le 15/01/1997

En donnant la parole à un organisateur, Accents présente un point de vue extérieur mais traversé par des préoccupations qui concernent directement la vie de l’Ensemble. Laurent Langlois est le directeur d’octobre en normandie, festival pluraliste avec lequel l’Ensemble intercontemporain collabore depuis 1993.
 
Comment caractériseriez-vous octobre en normandie ?
Il m’est difficile de répondre : au bout de dix ans, mes désirs concernant ce festival ont évolué. Je pourrais définir octobre par rapport à l’environnement musical français et européen. Mais ce qui est nouveau ici ne l’est pas nécessairement à un autre niveau. J’essaie simplement de construire un projet culturel auquel je souhaite associer autant de participants que possible.
J’attache beaucoup d’importance à mon rôle d’intermédiaire entre les spectateurs et les artistes. C’est peut-être cela, finalement, qui serait une spécificité d’octobre. Même si je ne réponds pas directement aux souhaits des spectateurs, je suis présent aux manifestations à Rouen et j’observe ce qui se passe. Je m’efforce d’être proche des artistes invités, et je les considère de plus en plus comme une famille… qui s’agrandit, d’ailleurs. Nous retrouvons aussi beaucoup d’artistes d’une année sur l’autre, comme le quatuor Arditti ou Pierre-Laurent Aimard, qui ont des idées, des envies de programmes qu’ils souhaiteraient enfin voir se réaliser.
 
Quelle est la place de la musique d’aujourd’hui à octobre ?
Pour les trois dernières programmations, comme pour celle de 97, il y a une nette volonté d’ouverture sur la musique du XXe siècle. Notre spécificité, c’est aussi de mélanger les musiques, tout en conservant le lien primordial de la qualité, et particulièrement celle des interprètes. Il est important de se donner les moyens budgétaires nécessaires pour accueillir les artistes les plus intéressants. Cela aide beaucoup à faire passer les projets, et permet de leur donner à tous une présentation égale, de traiter la musique du XXe siècle et la danse contemporaine de la même façon que les autres projets. En fait, je ne traite absolument pas le XXe siècle à part, et je cherche à établir des liens entre hier et aujourd’hui.
Quoiqu’on nous le demande souvent, je suis totalement opposé aux programmes « mille-feuilles », qui consistent à « faire passer » des compositeurs d’aujourd’hui en ajoutant au programme une symphonie de Beethoven ou de Mozart. Je suis pour un autre « millefeuilles » : celui que nous avons monté cette année autour de Webern avec le Camerata de Salzbourg et Oswald Sallaberger, et qui est certainement un bon exemple de ce que je souhaite développer : éclairer l’œuvre d’un musicien dans sa culture – ici, avec des orchestrations de danses allemandes par Schubert, des cantates de Bach, des œuvres de Brahms. Ce mille-feuilles-là, je l’accepte; mais pas le millef-euilles de noms. Je préfère concevoir des programmes de manière à ce que le public apprenne quelque chose.
 
C’est une musique « difficile » ?
C’est une notion fluctuante : tout dépend de ce que nous avons programmé au cours des années précédentes. Dans le mouvement, certaines œuvres passent maintenant très facilement. En fait, il n’y a pas de différence, parce que je crois beaucoup à ces programmes, et que j’essaie de construire autour d’une idée centrale, en remplaçant la notion de difficulté par celle de découverte, qui est beaucoup plus positive.
 
L’Ensemble a donné un concert le 29 septembre dernier à octobre. C’était sa première intervention dans ce festival ?
En formation dirigée, oui. Depuis des années je fais venir les solistes pour des programmes de musique de chambre, et j’espère que l’Ensemble sera encore présent à octobre en 97. S’il y a bien une formation que je souhaiterais inviter en résidence, c’est certainement l’lntercontemporain. Amplifier le dialogue avec cette formation est tout à fait cohérent avec la démarche d’octobre. Le fait que l’Ensemble ait une part d’autofinancement importante le rend sans doute un peu cher, ce qui peut gêner certains organisateurs qui n’ont pas pu développer leurs moyens financiers comme nous l’avons fait ici. Mais en même temps, si nous sommes si heureux de recevoir l’Ensemble intercontemporain, c’est aussi parce qu’il a une renommée, une puissance artistique internationalement reconnue. S’il n’avait qu’une aura nationale, je ne serais peut-être pas aussi fier de l’accueillir !
 
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propos recueillis par Véronique Brindeau
Extrait d’Accents n°1 – janvier-mars 1997