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Frédéric Maurin : une totale liberté dans l’écriture.

Entretien By Jérôme Provençal, le 30/09/2024

Création écrite conjointement par Sofia Avramidou, Andy Emler et Frédéric Maurin, Jeux est jouée par une formation inédite réunissant sept musiciens de l’Orchestre National de Jazz (ONJ) et sept solistes de l’Ensemble intercontemporain (EIC). Directeur artistique de l’ONJ depuis 2018, compositeur, chef et guitariste franco-suisse, Frédéric Maurin présente ce projet original, qui aboutira à un concert le 18 octobre à la Comète – Scène nationale de Châlons-en-Champagne.

Frédéric, pourquoi ce titre, Jeux ?
D’abord, il ne fait pas du tout référence aux récents Jeux Olympiques (sourire). Il répond au désir de mettre en exergue la dimension ludique de la pratique musicale, qu’on oublie parfois un peu. Pourtant, on dit bien « jouer de la musique ». La notion de jeu – qui a pu être dévalorisée à une époque – me paraît vraiment essentielle dans la musique, a fortiori lorsqu’on improvise de façon collective. Ce titre correspond donc tout à fait à l’esprit du projet.

Comment l’idée a-t-elle germé ?
Elle m’est apparue en 2018, avant que je prenne la direction de l’ONJ, au moment où j’ai élaboré un projet pour l’orchestre. Dès ce moment-là, j’ai fait part à Olivier Leymarie, directeur général de l’EIC, de mon envie de concevoir une création mêlant les deux ensembles. Impulsée quand j’ai été nommé directeur de l’ONJ, puis freinée par la pandémie de Covid-19, cette création va finalement pouvoir se concrétiser à l’automne 2024.

Quels sont les axes directeurs de ce projet ?
Au niveau de la composition, j’avais envie de croiser les esthétiques en travaillant avec deux personnes bien précises : Sofia Avramidou, nouvelle figure de la musique contemporaine, et Andy Emler, activiste chevronné des musiques expérimentales. Elle et lui représentent des esthétiques et des générations différentes. Nous concevons ensemble un programme musical commun avec trois approches particulières, distinctes et complémentaires.

En quoi consiste ce programme ?
Il ne se compose pas de pièces distinctes, jouées les unes après les autres, en identifiant bien l’auteur ou l’autrice. Au contraire, le programme est vraiment pensé à trois dans sa globalité, du début à la fin. Les pièces s’interpénètrent et interagissent, amenant le public à osciller tout du long entre plusieurs aires musicales. Par exemple, l’une de mes pièces comprend une partie avec des incises ouvrant des possibilités d’intervention à Sofia et/ou Andy.
En tant qu’auditeur, j’aime les programmes dans lesquels on peut s’immerger sans chercher à savoir, durant l’écoute, qui a fait quoi. C’est une façon d’appréhender le concert qui me plaît beaucoup. Ce goût me vient probablement de l’affection que j’avais, enfant, pour le rock progressif. Nous essayons par ailleurs d’apporter une forme de narration, même abstraite, puisqu’il n’y a pas de texte. La musique ne raconte rien d’autre que la musique, mais elle nous amène d’un endroit à un autre, il y a une progression. Il devrait y avoir au total environ 1h15 de musique, avec des temps de respiration. À l’heure où nous réalisons cet entretien, toute la musique n’est pas écrite, nous sommes encore en train d’y travailler.

Comment se déroule l’échange créatif entre vous trois ?
Nous partageons régulièrement des idées ou des esquisses. Nous réfléchissons ensemble à la façon d’articuler le tout en gardant de l’espace pour l’improvisation. Nous avons aussi déjà effectué quelques sessions avec l’ensemble instrumental, sur des parties écrites ou, au contraire, ouvertes à l’improvisation. La capacité offerte aux musiciens d’improviser – de manière individuelle et collective – constitue la singularité de cet ensemble hybride. Certaines sessions ont été consacrées spécifiquement à l’improvisation collective. Nous voulons aussi préserver la part de spontanéité de chaque musicien.ne. Au final, il y aura beaucoup d’improvisation, sous des formes diverses.

De manière générale, qu’amène, selon vous, la rencontre artistique entre le monde du jazz et celui de la musique contemporaine ?
J’ai l’impression que les musicien.ne.s ne se posent pas tellement cette question. En l’occurrence, sur ce projet, la rencontre s’est faite très naturellement, en jouant, sans qu’il y ait besoin de beaucoup de discussions préalables. Sofia, Andy et moi avons, je crois, une vision ouverte de la musique, sans catégorie. Pour ne parler que de ma pratique, je vois vraiment un continuum entre mes différentes expériences – qu’elles s’inscrivent dans le champ du jazz, de la musique contemporaine ou ailleurs. Je ne suis jamais sûr de la catégorie à laquelle appartient ce que j’écris et, au fond, je crois que cela m’importe peu. En tout cas, plus j’écris, plus j’ai le sentiment d’atteindre quelque chose de beaucoup plus personnel que ce que j’écrivais il y a 10 ou 15 ans. Pouvoir travailler avec des instrumentistes aux talents polyvalents, capables de jouer plein de choses différentes, donne une totale liberté dans l’écriture. On navigue d’une musique à l’autre sans se poser de question.

Photos (de haut en bas) : photos 1 et 2 © Sylvain Gripoix / photo 3 : répétition à la Philharmonie de Paris, 23.09.2024 © EIC