Sarah Aristidou : repousser ses limites.
ÉclairageLa jeune soprano franco-chypriote retrouve l’Ensemble intercontemporain pour deux grands concerts consacré à Luciano Berio, comportant Recital I (for Cathy) le 23 juillet à Londres, et ses célèbres Folks Songs le 24 octobre à la Philharmonie de Paris.
Cet été, Sarah Aristidou est partie se ressourcer en Islande. Une île qui l’émerveille toujours : « J’ai beau y être allée à de nombreuses reprises ces dernières années, l’expérience n’est jamais la même et le pays reste toujours une fabuleuse découverte. Ce qui me frappe le plus en Islande, je dirai, c’est… le silence. Il existe un grand et merveilleux silence sur lequel je n’arrive pas à mettre de mots », dit-elle dans un éclat de rire. La saison 2024-25 de la soprano fut littéralement volcanique. En décembre, elle rencontrait les solistes de l’Ensemble intercontemporain lors d’un Grand Soir Edgar Varèse à la Philharmonie de Paris (photo ci-dessous) : « Travailler avec le chef d’orchestre Pierre Bleuse fut un vrai moment de plaisir et de partage. L’œuvre de Varèse que j’ai interprétée était courte, mais j’ai été très touchée par la bienveillance et la convivialité des musiciens. De par la précision et l’excellence de ses solistes, le niveau de l’ensemble est extrêmement élevé ! ».
Mais la grande œuvre d’hiver de Sarah Aristidou fut bien sûr Pli selon pli de Pierre Boulez qu’elle a donnée dans toute l’Europe avec l’Orchestre Les Siècles : « C’est l’une des œuvres les plus difficiles que j’ai jamais chantées, car elle demande énormément de concentration. Mais l’écoute du public fut si merveilleuse ! J’ai le souvenir du concert au Bijloke de Gand et surtout à Munich, qui est pour moi l’une des grandes villes de musique contemporaine. J’espère pouvoir reprendre rapidement Pli selon pli car c’est une œuvre inépuisable, avec encore tellement de couleurs et de contours à trouver ».
En attendant de chanter Luciano Berio dans quelques jours aux Proms de Londres, Sarah Aristidou a également été profondément marqué par La Voix Humaine : « J’ai joué l’opéra de Francis Poulenc avec le merveilleux Orchestre de Cleveland. Je me souviens d’être entrée sur scène comme dans un état second. La musique s’est écoulée de ma voix sans que je ne le sache ni ne me rende compte. Un moment magique ! ».
Pour évoquer sa rentrée, nous tentons de lui poser une question hasardeuse : Poulenc et Berio ont-ils des points communs ? La soprano franco-chypriote réfléchit un instant puis avance : « Leurs styles sont bien sûr extrêmement différents, mais ils partagent une même honnêteté vis-à-vis d’eux-mêmes. Leur musique possède quelque chose d’honnête et de sincère, qui touche directement au cœur ».
Le 23 juillet, Sarah Aristidou interprètera donc avec l’Ensemble intercontemporain dirigé par Pierre Bleuse le théâtral Recital I (for Cathy) de Berio (photo de répétition ci-dessous) : « Une œuvre incroyable qui demande de passer de Monteverdi à Ravel, ou de Wagner à Delibes avec une extrême rapidité. L’écriture vocale repousse vraiment les limites de l’interprète avec tous ces sauts de registres et de styles. Quel luxe de pouvoir interpréter ce chef d’œuvre au Royal Albert Hall ! ».
Créée en 1972, la pièce réveille bien sûr le souvenir de Cathy Berberian, la muse du compositeur italien : « Ma première professeure de chant m’avait offert un de ses disques, et toutes les couleurs de sa voix m’avaient fascinée ! Cathy Berberian chantait aussi bien du Kurt Weill, du Monteverdi que les Beatles. Comme je chante depuis l’enfance des musiques tellement différentes, je me suis immédiatement reconnue dans son parcours. Très tôt, Cathy Berberian a élargi ma vision de ce que pouvait être – je n’aime pas trop ce mot – une “chanteuse classique”, et m’a donné le courage d’expérimenter avec mon instrument, la voix ».
Le 24 octobre prochain à la Philharmonie de Paris, Sarah Aristidou sera la soliste d’un autre chef-d’œuvre de Berio, les célèbres Folk Songs aux côtés, une nouvelle fois, de l’Ensemble intercontemporain : « Berio a dit que les onze chants qui composent les Folk Songs nécessitaient onze chanteuses différentes, et cette manière de se trouver soi-même dans la diversité me plaît énormément. J’admire profondément cette manière de mêler musique écrite et musique traditionnelle, cette volonté d’embrasser tous les styles avec humanité. Chaque chant provient d’un endroit différent, et pourtant, Berio se situe à l’extrême opposé de ce qu’on appelle aujourd’hui l’ “appropriation culturelle” tant son approche s’appuie sur une honnêteté et une humilité exceptionnelles ».
Sarah Aristidou est une chanteuse aventurière, qui trouve sa vérité dans les chemins qu’elle trace et les limites qu’elle repousse. À l’instar de Cathy Berberian, impossible de mettre carrière (et sa voix) dans une boîte. Sa voix nous touche directement au cœur.
Photos (de haut en bas) : © EIC / © Quentin Chevrier / © EIC
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