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Une liberté de création au-delà de la partition. Entretien avec Nach, chorégraphe.

Entretien By Claire de Montgolfier, le 19/03/2025

C’est une rencontre inattendue entre deux univers, celui du krump, dont est issue la danseuse et chorégraphe Nach, et celui de la musique contemporaine, avec deux solistes de l’Ensemble intercontemporain : Martin Adámek (clarinette) et Éric-Maria Couturier (violoncelle). Résultat de ce surprenant face-à-face, une création intitulée la Partition inconnue n° 1, qui sera présentée samedi 22 mars à la Philharmonie de Paris.

Nach, vous êtes une danseuse et chorégraphe majeure du krump – une dance urbaine contestataire qui s’empare de la violence pour s’en défaire. D’où vous est venu ce besoin d’hybridation du krump avec le répertoire contemporain ?
Ce n’est pas le krump que j’hybride, c’est plutôt mon corps, mes perceptions, ma danse – danse que je perçois comme un dialogue, ou une discussion. D’où ma nécessité d’être très précise dans l’utilisation des mots : hybrider, c’est croiser deux espèces différentes. Or, ce que je croise vient de mon expérience. Je cherche les outils pour être, non pas en « représentation », mais au plus proche d’une expérience, qui m’incite à transcrire mes perceptions en mouvement.

Chacune de mes créations cherche à magnifier le réel, pour le rendre plus supportable. Je crée pour rester connectée au monde et à moi-même, pour faire se rencontrer le réel et l’irréel, et pour trouver un espace de glissement entre les deux. Je reviens d’une résidence de 3 mois aux États-Unis. À Los Angeles je me suis essayée à la danse en talons aiguilles, le heels, et expérimenté une tout autre corporalité. À San Francisco, j’ai pratiqué la danse classique pour la première fois. J’ai senti qu’il y avait d’autres manière d’être puissante et j’ai compris qu’il n’y avait pas qu’une seule manière de trouver sa vérité. Les États-Unis vivent une violence inimaginable et c’est pour ça qu’ils donnent naissance à autant d’œuvres d’une grande puissance. 

Comme décririez-vous votre manière de collaborer ?
J’aime prendre le temps de rencontrer les personnalités avec qui je collabore. J’aime observer comment elles m’inspirent et comment je les inspire. En tant que chercheuse et curieuse du mouvement, je travaille avec, dans l’œil, ce que j’appelle mon « compas danse » : posture, déplacement, énergie.

Selon le désir de l’équipe de se déplacer et de prendre des risques, je transmets mes bases krump, mes trouvailles d’autres danses et cultures, et tout ce qui constitue aujourd’hui mon manifeste du mouvement, de l’incarnation, de l’éloquence et de l’imaginaire. Je laisse place à l’absurde, au glissement qui s’opère, sans forcément vouloir à tout prix lui trouver un sens. C’est le processus qui est le plus important pour moi, et non la représentation.

Vous avez renommé le spectacle initialement intitulé « Face-à-Face » en Partition inconnue n° 1. D’où vient cette part d’inconnu ?
En tant que danseuse et chorégraphe issue du mouvement krump, j’improvise tout le temps. Mais depuis quelques années, je cherche à me déplacer, à explorer d’autres espaces que celui de l’impro. J’ai envie d’aller vers ce qui me semble plus difficile, à savoir concevoir et lire une partition. Et c’est l’un des défis de ma rencontre avec les solistes de l’Ensemble intercontemporain, Éric-Maria Couturier et Martin Adámek.

Ce projet de création avec les musiciens de l’EIC est un gros déplacement pour moi. Le répertoire de musique contemporaine est d’une richesse folle ! Nous en avons choisi plusieurs extraits, d’œuvres diverses. J’adore le challenge que cela représente : imaginer mon propre corps faire chœur avec cette partition. De plus, les musiciens ont accepté de danser avec moi, ce qui est très précieux. L’idée est de toujours être à l’écoute de mes partenaires : laisser de la place, et trouver ma place. Être dans l’échange et le partage, sans se dénaturer.

N’y a-t-il pas un paradoxe entre ce désir de liberté et votre fascination pour l’objet partition ?
Pas tant que ça. La partition m’apparaît finalement moins comme une contrainte que comme une proposition de composition.
Quand je regarde les musiciens, je me demande ce qui fait la musique. Quels sont leurs ressentis en jouant, qu’est-ce qu’avoir le corps incarné par la musique ? Peuvent-ils entrer dans cet état sans leurs instruments ? Quelle part d’eux-mêmes y mettent-ils ? Sont-ils libres en jouant la partition ? J’aimerais comprendre comment trouver moi-même une libération dans la contrainte de l’objet partition.

Photos © Claire de Montgolfier, EIC