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Sarah Aristidou : de feu et de glace.

Portrait By Laurent Vilarem, le 28/11/2024

La soprano française Sarah Aristidou sera à l’affiche du Grand Soir Edgard Varèse, le 10 décembre 2024 à la Philharmonie de Paris. L’occasion de faire connaissance avec une interprète aux multiples talents, qui enfant, rêvait déjà de devenir chanteuse…

Sarah Aristidou n’est jamais là où on l’attend. Même ses amis le disent : « Je vis entre l’Islande et Ibiza. Quand mes amis m’appellent, leur première question est toujours : Mais t’es où, exactement ? ». Le contraste entre l’île boréale et l’île baléare est saisissant, mais la soprano s’épanouit précisément dans ces extrêmes : « J’adore voyager. J’ai été élevée avec tellement de cultures et de sons différents qu’enfant, j’avais l’impression d’avoir plusieurs voix en moi. Chanter me permet de découvrir en permanence et d’expérimenter ».

De Chypre, Sarah Aristidou a gardé un amour des musiques traditionnelles. Enfant, la découverte de Maria Callas fait office de révélateur : « J’avais cinq ans quand on m’a offert un de ses disques. Deux morceaux m’ont particulièrement frappée : la Habanera de Carmen et un air de La Sonnambula de Bellini. Une âme puissante émanait de sa voix ». Sarah étudie d’abord en France, aux Maîtrises d’Herblay et de Radio France, puis au CRR de Paris, où elle découvre la chanteuse Cathy Berberian, ardente défenseuse du répertoire contemporain. Déjà, l’envie d’ailleurs la saisit. Elle choisit l’Allemagne et entre dans la prestigieuse troupe de la Staatsoper de Berlin. On l’interroge : pourquoi être partie de France ?  « J’avais l’impression qu’en Allemagne, personne ne savait ce que j’allais faire et que personne n’avait à me dire ce que je devais faire. Là-bas, le rapport à la musique est plus naturel et plus libre ». 

Outre-Rhin, ses mentors sont prestigieux. Daniel Barenboïm est l’un des premiers à lui faire confiance (« c’est un génie ! Grâce à son exigence extrême, il m’a aidée à aller au-delà de mes limites et à réaliser des choses que je croyais être incapable de faire »). Parmi les autres rencontres extraordinaires, Sarah Aristidou évoque ses liens privilégiés avec les compositeurs : Aribert Reimann (« je l’adorais ! La dernière fois où je l’ai vu, il est venu me féliciter à la fin du concert en me parlant comme  mon grand-père. Sa manière d’écrire pour les voix est tellement naturelle ») ou encore Jorg Widmann et Thomas Larcher, dont l’Ensemble intercontemporain a joué en mars dernier la magnifique Living Mountain.

Le 10 décembre, Sarah Aristidou se produira à la Philharmonie de Paris pour l’œuvre d’un autre grand « exilé » français : Edgard Varèse. En 2021, la chanteuse enregistrait la mélodie d’Un grand sommeil noir avec Daniel Barenboim au piano sur son premier disque Aether (Alpha Classics). Lors du Grand Soir Varèse, elle offrira les rares Offrandes du compositeur : « une musique très intime qui permet de déployer une palette de couleurs fascinante », déclare-t-elle avec gourmandise. Mais ce concert signe surtout pour Sarah la rencontre avec Pierre Bleuse et l’Ensemble intercontemporain avec lesquels elle a toujours rêvé de travailler. « Je ne sais pas si j’ai le droit de le dire, mais d’autres occasions sont prévues à l’avenir, sourit-elle. Je suis extrêmement honorée et heureuse de cette collaboration ! »

L’année 2025 se place décidément sous le signe de la France pour la soprano. Début janvier, Sarah Aristidou interprètera l’immense Pli selon Pli de Pierre Boulez avec l’orchestre Les Siècles. Un monolithe musical de la naissance (le “Don” du premier mouvement) à la mort (le “Tombeau” final), qui rappelle de façon étonnante le projet de son dernier disque Enigma qui évoque les sons aux différentes étapes de la vie : « C’est un thème qui m’obsède, et vers lequel je reviens sans cesse, ajoute-t-elle. La musique permet cette forme d’introspection existentielle. Quand on est plus intime de soi-même, on exprime des émotions humaines qui nous surprennent nous-mêmes ».

Après ce mois consacré à la musique de Pierre Boulez, elle fera ses débuts aux États-Unis , dans La Voix humaine de Poulenc avec l’Orchestre de Cleveland, en attendant d’interpréter, peut-être, Lulu et Mélisande, deux rôles qu’elle rêve d’incarner sur scène. Et ensuite ? « Je me retire en Islande. Plus de téléphone ni d’internet ». À moins qu’elle ne préfère retourner à Ibiza ?  « Là-bas, il existe de nombreuses réserves naturelles. J’ai autant besoin des pins méditerranéens que des volcans scandinaves ! », conclut-elle dans un éclat de rire vibrant. Sarah Aristidou ou la recherche d’un équilibre en perpétuel mouvement.
 

 3 questions pour mieux connaître Sarah Aristidou

Le pays de vos rêves ?
L’Islande

J’ai eu un choc extraordinaire en y allant pour la première fois. Nous étions en période de Covid, et j’ai eu l’impression de me retrouver face à un miroir. L’Islande vous oblige à plonger en vous. La nature y est tellement forte qu’on est comme livrée à soi-même. Soit on supporte ce miroir, soit on l’endure. De mon côté, j’ai besoin de cette nécessaire introspection. Un peu comme pour la musique, on plonge profondément en soi afin de trouver sa vérité.

Un livre qui vous accompagne ?
Quand la beauté fait mal de Naomi Wolf

J’ai pris une énorme claque en le lisant ! L’ouvrage traite de la dictature de la beauté imposée aux femmes par la société sur plusieurs générations et de ses conséquences. Lire ce livre m’a énormément fait réfléchir et prendre conscience de certains de mes schémas intérieurs. On trouve notamment des chapitres sur l’instrumentalisation, des standards de beauté, de l’utilisation de ce mythe par les médias, et les religions. Ce livre montre comment on a fait taire des femmes, comment on les a annihilées de l’intérieur.

L’objet qui est toujours avec vous ?
Mon Canon AE1

Je travaille en argentique et ne possède pas de caméra numérique. Ma pratique de la photo reste instinctive et j’ai mis quelques photos sur mon site internet. Je garde tout le temps mon appareil photo avec moi. Je ne photographie pas des personnes mais plutôt des paysages. Ma photographie se rapproche de ma pratique de l’improvisation : une voix nécessaire que j’utilise sans trop réfléchir. Comme le chant, c’est un espace de liberté.

 

Photos Sarah Aristidou – source sarah-aristidou.com