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“Reflections” de Nina Šenk.

Éclairage By François-Gildas Tual, le 23/05/2024

Un duo tout en contrastes, dialogue amoureux entre piano et trompette, c’est ce que la compositrice slovène Nina Šenk propose dans Reflections, interprété le lundi 27 mai à la Philharmonie de Paris. D’un souffle commun, les deux instruments se font écho et vibrent d’un même élan, parfois jusqu’à se partager l’espace de résonance.

La compositrice Nina Šenk confie être attirée par une virtuosité instrumentale qui peut prêter à une simple ligne musicale une richesse illimitée. Dans le cas de Reflections, l’écriture de la trompette est particulièrement influencée par la rythmique du jazz, par ses contretemps et ses syncopes, ses développements imprévisibles mais logiques, sa sensibilité aux timbres. Si piano et trompette paraissent s’opposer en tous points, la diversification des modes de jeu rend les instruments moins comparables que complémentaires. L’un et l’autre se reflètent malgré leur nature différente.

Tout d’abord, le souffle s’impose, essence même de l’instrument à vent dans une multiplicité de nuances obtenue par le musicien par une fine maîtrise du mouvement des lèvres. La trompette a son alphabet, ses consonnes et ses voyelles. Le trompettiste doit maîtriser chaque partie de sa bouche comme s’il voulait parler. Le son tantôt est entretenu, tantôt se réduit à une attaque, percussion de la langue sur le palais similaire au choc d’un marteau sur la corde d’un piano. Quant au pianiste, il peut frapper les cordes graves de son instrument avec la paume des mains, les racler avec un maillet, les faire vibrer plus ou moins violemment de ses doigts, du bout des doigts, des ongles ou grâce à quelque objet.

De ces chocs initiaux et de ces frottements naît le souffle, de la matière surgit la vie. Progressivement, des notes surgissent, plus ou moins colorées par les sourdines, les effets de vibrato ou de glissando, suivies de bribes de mélodie et des délicates harmonies du clavier. Les deux instruments se découvrent un motif chromatique commun, dialoguent enfin dans une langue unique. Se servant de son partenaire comme d’une immense caisse de résonance, la trompette vient alors jouer dans le corps même du piano, qui lui-même vibre par sympathie. Puis elle se retourne vers le public, faisant de la salle l’espace d’une action musicale, d’un théâtre dont l’aboutissement relèverait de la fusion instrumentale. À la fin, les deux protagonistes superposent leurs modes de jeu initialement alternés.

Le « terrain d’entente », explique Nina Šenk, est le « son métallique obtenu par les deux instruments ou le son de la respiration (de l’air) en combinaison avec le grattage des cordes. La pièce est une conversation active entre deux musiciens dont les gestes musicaux (mélodies) sont aussi importants que leurs échos. » Plus jeune, la compositrice était passionnée d’architecture ; s’appuyant parfois sur des idées littéraires, elle conçoit ainsi des structures narratives à la fois équilibrées et abstraites. Les interactions, les confrontations et les rencontres y sont à l’image des rapports des individus au sein de la société. Dans Reflections, la vie en duo est aussi belle que complexe, tendant vers l’unité tout en préservant la paire.

Photo © Ciril Jazbec