« Je me suis préparé comme un sportif ». Entretien avec Lucas Ounissi, tromboniste.
EntretienNous sommes très heureux d’accueillir à l’Ensemble Lucas Ounissi : un tromboniste que nous connaissons depuis quelques années et qui fait désormais partie de la grande famille intercontemporaine ! Il revient pour nous sur son parcours, de ses débuts qui ne le prédestinaient pas vraiment à la musique à aujourd’hui et cette nouvelle vie musicale qui commence.
Lucas, comment avez-vous commencé la musique ?
Un peu par hasard. Personne dans ma famille n’en fait. J’ai commencé à l’école de musique de ma ville, Saint-Avertin, puis j’ai intégré, en CM1, une Classe à Horaires Aménagés Musique. Pour le choix du trombone, c’est encore plus simple : c’est le premier instrument que j’ai essayé : le professeur était jeune, il m’a fait rire, et ça m’a suffi. Par la suite, tout s’est bien enchaîné. Je ne pensais pas du tout en faire mon métier, mais, en constatant que je prenais du plaisir à travailler l’instrument, je m’y suis consacré au cours de mon adolescence.
Dans ces circonstances, comment est né votre goût pour le répertoire contemporain ?
Au fur et à mesure. Quand on débute, on travaille bien sûr beaucoup de pièces classiques. Mais, vers 16 ans, pour un concours d’interprétation multi-instrumentiste à Boulogne-Billancourt dont j’ai remporté le deuxième prix, j’ai découvert la Sequenza de Luciano Berio — un compositeur qui, je m’en aperçois chaque jour un peu plus, était un précurseur dans l’écriture instrumentale, et notamment du trombone, qui n’a pas beaucoup évolué depuis. Le défi technique était immense ! Mais la satisfaction d’avoir réussi à monter une pièce pareille en fut d’autant plus grande. C’est ainsi que je me suis intéressé à ce répertoire, à l’écouter et à le jouer. Mais la musique contemporaine n’avait pas une place prépondérante dans mon conservatoire à Tours, comme dans beaucoup de conservatoires en France. Aujourd’hui, j’affine mes connaissances pour savoir ce que j’aime, mais il me reste tant à découvrir. Bien sûr, quelques compositeurs m’ont marqué. Je citerais : Enno Poppe, Aureliano Cattaneo ou Francesco Filidei. Berio ou Xenakis aussi, mais ils n’entrent plus pour moi dans la catégorie « musique d’aujourd’hui » : ce sont déjà des grands classiques !
Pourquoi avoir candidaté à ce poste de tromboniste à l’EIC ?
J’ai pour la première fois entendu parler de l’Ensemble intercontemporain l’année où j’ai passé mon diplôme au Conservatoire de Tours : l’un de mes professeurs m’a dit que les deux postes de trombone allaient se libérer et que cela pourrait me plaire. Quelque temps plus tard, alors que j’étais en deuxième année de mon cursus au Conservatoire de Paris, un premier concours s’est ouvert pour remplacer Benny Sluchin, et j’ai donc naturellement candidaté. Le premier et le deuxième tours ne se sont pas trop mal passés, mais ça s’est arrêté là : personne n’a été pris. Je pense que j’étais trop jeune : j’arrivais à peine à finir le programme. J’ai quand même dû faire une certaine impression car ils m’ont rappelé pour faire des remplacements. J’avais 19 ans, et je me suis retrouvé entouré de tous ces solistes d’un niveau stratosphérique, c’était hallucinant ! J’ai adoré. J’ai aussi adoré le fait que l’EIC est une grande famille et non pas une grosse machine : tout le monde se connait très bien, humainement et musicalement.
Vous avez donc joué régulièrement avec l’Ensemble ?
Oui, pendant cinq ans. Cinq années à rêver de véritablement faire partie de la famille — même si, en tant qu’intermittent, je faisais aussi de la musique de chambre et des remplacements dans divers orchestres parisiens, y compris sur instruments d’époque. Un an après ce premier concours, un deuxième a été ouvert, mais le jury n’a retenu personne à nouveau. Enfin, en janvier dernier, un troisième concours s’est tenu. Révélé deux mois et demi avant les épreuves, le programme était assez différent des deux premiers. Je me suis préparé comme un sportif. J’ai refusé toutes les propositions pendant cette période et j’ai gardé une routine rigoureuse. Je travaillais tous les jours du matin au soir et, entre chaque session, j’allais nager ou courir pour entretenir ma forme physique. Et cette préparation a payé.
La particularité du trombone est que les deux postes de l’EIC étaient tenus par les mêmes personnes depuis la création de l’ensemble, Benny Sluchin et Jérôme Naulais. Quand vous avez finalement intégré l’ensemble, les deux étaient partis en retraite. Comment se passe la transmission ?
C’est un immense honneur de remplacer ces deux figures marquantes du trombone international. J’ai d’ailleurs eu la chance de travailler avec Jérôme Naulais, notamment la Sequenza, en vue du premier concours, et puis j’ai eu l’occasion de le côtoyer au cours de mes divers remplacements. Il m’a raconté toutes les histoires, le dessous des cartes et des partitions… Aujourd’hui, je reprends le flambeau, je suis galvanisé par le travail et le partage avec les autres solistes, et j’ai très envie que l’Ensemble passe plein de commandes de concertos, de musique de chambre et de pièces pour trombone seul !
Des projets, des envies particulières avec l’Ensemble ?
J’ai hâte de créer, partager et transmettre. La transmission me passionne. Je veux faire découvrir nos musiques, que ce soit aux jeunes interprètes ou à des publics qui en sont éloignés, via l’action culturelle. Je suis également un féru de tout ce qui est scénique. Je suis actuellement en tournée avec la pièce Némésis de Tiphaine Raffier d’après Philip Roth, en tant que musicien et figurant. Cette pièce est incroyable et c’est une expérience fantastique. J’aimerais ainsi monter et/ou participer à des œuvres mises en scène. Enfin, j’aimerais également passer des commandes de pièces pour trombone avec électronique, ce que je n’ai encore jamais fait.
Photos (de haut en bas) : © Franck Ferville / © Anne-Elise Grosbois / © EIC
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