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Les voi•x•es de l’imaginaire. Entretien avec Clara Olivares, compositrice.

Entretien By Michèle Tosi, le 30/01/2022

Vers mes cieux vos regards pleins d’ivresse, la nouvelle œuvre pour cor, ensemble et électronique de Clara Olivares sera créée le 9 février lors du festival Présences de Radio France au côté de deux pièces de Tristan Murail, figure centrale de l’édition 2022. La jeune compositrice lève le voile sur cette création, une commande conjointe de l’Ensemble intercontemporain, de Radio France et de l’Ircam.

Clara, dans la présentation de votre nouvelle œuvre, vous qualifiez votre approche de « regard en miroir » sur Mémoire-Erosion, une œuvre de 1976 de Tristan Murail. Vous sentez-vous proche de la musique spectrale ?
Disons que je suis très sensible à la musique de Tristan Murail. Mémoire-Érosion est une partition qui convoque également le cor solo et un ensemble instrumental mais sans l’électronique. Pour autant, l’écriture reproduit des processus électroniques dans l’univers purement acoustique. C’est ce qui m’a beaucoup intéressée. Quant au courant spectral, j’ai appris à mieux le connaître au fil de ma formation. Mes choix harmoniques proviennent aujourd’hui de la nature du matériau sonore et non d’une organisation des hauteurs prédéterminée.

Votre écriture, dites-vous, sera différente de celle de Murail. Pouvez-vous préciser la nature de cette différence ?
Je pense qu’on la ressentira surtout au niveau de la temporalité. L’esthétique spectrale tend à instaurer une dimension contemplative du matériau que je souhaiterais mettre à l’épreuve en ménageant dans ma partition des instants très rapides et des interstices de silence, tout en conservant ce travail particulier et cohérent du son et des spectres comme éléments générateurs de la forme. Il faut mentionner également des influences différentes donc forcément des univers stylistiques qui divergent.

Parlez-nous de ces influences, vous qui avez travaillé avec des professeurs aussi éminents que Mark Andre, Philippe Manoury, Daniel D’Adamo et Franck Bedrossian…
Elles sont diverses et m’ont fait évoluer au cours des années : j’ai longtemps privilégié la note comme paramètre structurant. Mais le timbre est devenu de plus en plus central dans ma réflexion. Pour aller vite je dirais que j’ai été influencée par les courants post-sériel, spectral et saturationniste, sans pour autant pouvoir me revendiquer d’une école en particulier. J’évoquerai également des sources extra-musicales comme les couleurs, les rituels, les songes, les textures, qui déterminent mes choix d’écriture au-delà d’une pensée compositionnelle spécifique.

Pourquoi avoir choisi le poème de jeunesse de Baudelaire, Le porteur de lumière, comme autre source d’inspiration ?
Parce que la poésie m’accompagne depuis mes premières compositions. J’ai découvert Le Porteur de lumière par hasard, alors que j’avais déjà une vue d’ensemble de ma pièce. Et chose étonnante, je me suis aperçue qu’il s’inscrivait parfaitement dans le contexte poétique que j’avais imaginé musicalement. Il mêle cosmologie et spiritualité, couleurs et contrastes, amour et autorité… autant de notions qui nourrissent mon imaginaire surtout lorsque je travaille avec l’électronique. Et j’ajouterai plus simplement que je trouve ce poème fascinant, plein d’idées aussi belles que naïves, d’une fraîcheur particulière liée au très jeune âge du poète (il n’avait que quatorze ans).  

L’outil électronique fait-il désormais partie de votre quotidien de compositrice ou répond-il spécifiquement à la nature du projet ?
La pensée de l’électronique gagne une place de plus en plus grande dans ma composition, y compris dans les œuvres purement instrumentales. C’est un formidable partenaire qui répond, dans cette nouvelle œuvre, à une nécessité artistique : il prend un rôle fonctionnel à la fois de passage et d’hybridation entre différentes sources sonores et exacerbe le rôle et les capacités du cor solo. L’idée est de concevoir la partie électronique en parallèle de l’écriture instrumentale. Etienne Démoulin, le réalisateur en informatique musicale avec qui je collabore, m’aide à concevoir les outils avec lesquels je pourrai travailler seule.

 

Vous mentionnez une « dimension dramaturgique » de l’électronique…
Je l’ai expérimentée en 2017 dans mon opéra Mary où l’électronique ouvre le champ narratif. En lien avec le poème de Baudelaire et sa dimension cosmologique, l’électronique va me permettre de créer une scène virtuelle, autrement dit un lieu d’écoute qui n’existe qu’à travers les haut-parleurs. J’avais en tête l’exemple de Philippe Manoury qui, dans une scène de son opéra K… et avec le ressort des nouvelles technologies, crée une réverbération particulière donnant à l’auditeur l’illusion d’être dans une cathédrale.

 

 

Photos (de haut en bas) : © Amandine Lauriol / DR