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« Une petite montagne magique ». Entretien avec George Benjamin, compositeur.

Entretien By Pierre Rigaudière, le 29/01/2020

George Benjamin faisait, il y a peu encore, partie des compositeurs pour lesquels l’opéra ne va pas de soi. Pourquoi chanter du théâtre ? Comment ? Il aura fallu un concours de circonstances, en l’occurrence une commande du Festival d’automne et la rencontre avec un librettiste providentiel en la personne de Martin Crimp, pour que tombent les barrières et qu’il s’attèle à sa première œuvre scénique, Into the Little Hill, qui sera repris en version de concert le 16 février à la Maison de la Radio dans le cadre du Festival Présences.

George, dans le conte lyrique qu’est Into the Little Hill, le livret de Martin Crimp vous laisse de la place en tant que compositeur et aussi en tant que dramaturge musical.

Absolument, et je suis certain que c’était l’intention de Martin ! Il aime profondément l’idée que quelqu’un écrive de la musique sur ses textes. Je pense qu’il apprécie que s’instaure entre nous un jeu et à chaque nouveau texte, il me met face à un défi structurel en me donnant des problèmes de plus en plus difficiles à résoudre. C’est vrai qu’il me laisse beaucoup d’espace. Pour moi, c’est une chose merveilleuse parce que je peux mettre l’accent sur ce que je crois être ses intentions, mais je peux aussi les contredire et aller dans une direction légèrement différent.  

 

C’est avec Into the Little Hill que commence pour vous le travail avec le principe d’auto-narration de Martin Crimp. Vous l’avez amplifié dans votre deuxième opéra, puis abandonné dans le troisième. Était-ce un échafaudage qui n’est plus nécessaire aujourd’hui ?

C’est quelque chose que Crimp a inventé pour ses propres pièces, et notamment avec Attempts on Her Life où il n’y a aucune action conventionnelle, où tout est narration. Quand j’ai lu ça, juste avant de rencontrer Martin pour la première fois, j’ai pensé que c’était peut-être la clé que je cherchais : j’ai toujours voulu raconter des histoires, mais pas d’une façon conventionnelle. Nous avons alors développé cet aspect dans Written on Skin, où l’auto-narration concernait cette fois non pas deux mais cinq personnages. Mais à mesure que l’histoire progresse, la séparation entre naturalisme et narration commence graduellement à se dissoudre. .

 

Vous avez manifestement recherché des voix avec peu de vibrato. Est-ce pour vous éloigner du bel canto ?

Je n’aime pas trop l’idée de beaux moments de chant alternant avec un peu de théâtre ! Au contraire, je crois que la tension théâtrale, à travers le chant, doit se maintenir de la première à la dernière mesure. Cela veut dire que les éléments théâtraux ont une fonction et que les mots doivent être intelligibles. Le public adhérera plus facilement s’il comprend la signification de ce qui se passe. Je veux que la langue soit entendue, mais aussi que la musique se concentre sur la voix. Je pense qu’un vibrato excessif est une distorsion cruelle de la nature de la voix. Bien sûr, il est parfois utile en tant qu’élément émotionnel et expressif, mais il ne doit pas être utilisé en permanence, et son amplitude doit être contrôlée de façon à ce que la note vibrée reste identifiable.

Le premier interlude commence avec un solo de flûte basse, qui incarne le jeu magique du joueur de flûte. L’ambiance un peu orientalisante est-elle référentielle ?

Mes premières esquisses pour cette scène étaient écrites pour un piccolo jouant très fort, très haut, très vite, scherzando. C’est la première idée qui m’est venue, parce qu’elle correspond à l’image que cette histoire a forgée à travers les siècles : une musique joueuse et drôle telle que la décrit par exemple un poème célèbre de Robert Browning. Puis j’ai trouvé ça impossible à écrire, inintéressant, et je me suis dit que cette musique capable d’hypnotiser toute une population d’animaux devait être séduisante, au sens premier du terme, voire hallucinatoire et sensuelle. C’est là que j’ai pensé à la flûte basse. Si vous voulez trouver la source d’une partie de mon écriture pour la flûte, regardez du côté de la musique indienne, avec son ornementation et sa structure rythmique bien spécifiques. Il y a aussi une forte technique polymodale tout au long de cette scène.