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« Une expérience de terrain avant tout. » Entretien avec Léo Margue, chef d’orchestre.

Entretien By Jéremie Szpirglas, le 21/12/2019

Cette saison (et la suivante), l’Ensemble intercontemporain accueille non pas un mais deux chefs assistants qui travaillent en alternance sur les différentes productions : Lucie Leguay et Léo Margue. Formé entre Osnabrück (Allemagne), Lyon et Paris, le jeune chef a déjà une belle expérience derrière lui, notamment dans le domaine de la création et de la transmission. Il revient sur un parcours qui l’a rapidement mené jusqu’à l’EIC.  

 

Léo, d’où vous vient cet intérêt pour l’univers musical contemporain ?

Je dirais que j’ai très tôt (dès le début de mes études de direction d’orchestre à dix-neuf ans) eu l’envie de travailler avec des compositeurs et compositrices de ma génération. Cela a toujours été très stimulant pour moi. Pour comprendre la musique de ces jeunes compositeurs, leurs influences, leurs héritages, je me suis intéressé plus en détail à la musique de notre siècle, à ses différents courants de pensée et esthétiques.

Curieusement, j’ai aussi eu la chance de découvrir la musique contemporaine avec la peinture et la sculpture, grâce à mes parents, qui travaillent dans le milieu des arts visuels. J’ai très vite compris les relations qui existent entre les artistes et les compositeurs, dans leurs processus de création. En découvrant Kandinsky, j’en ai appris davantage sur Schönberg par exemple.

Des rencontres particulières (avec des personnes ou des œuvres) ont-elles nourri ce goût pour la musique du vingtième siècle à aujourd’hui ?

La découverte de la musique de György Ligeti a été pour moi un moment très fort. J’y ai consacré un certain temps lorsque j’étudiais en Allemagne, dans le cadre d’un échange universitaire, et je me souviens encore des séances d’analyse de sa musique et de ses interviews… en allemand ! D’autres compositeurs m’ont marqué, et notamment Helmut Lachenmann et Morton Feldman, pour les esthétiques très différentes qu’ils développent, tous deux d’une entièreté absolue, puissante et émouvante. Je me souviens enfin d’une rencontre avec Martin Matalon, alors que j’étais en première année de direction d’orchestre au CNSMDP. Martin est également chef, et je me souviens d’avoir été fortement ému de voir ce compositeur dirigeant sa propre musique avec beaucoup de justesse et simplicité. Cela m’a fait penser à une personnalité comme Pierre Boulez, même si je ne savais pas alors qu’il avait étudié avec lui : je ne l’ai appris qu’après coup.

 

Qu’est-ce qui vous a incité à candidater pour ce poste de chef assistant de l’Ensemble intercontemporain ?

L’EIC est un ensemble qui m’a toujours fasciné par son engagement à défendre toutes les musiques contemporaines : que ce soit celles d’un passé proche ou des créations, j’ai toujours entendu là une forte volonté artistique avec laquelle je me sens en résonance. J’ai donc voulu apprendre à travailler avec une telle équipe de musiciens, mais aussi être assistant auprès de Matthias Pintscher, puisqu’il a, lui aussi, cette double casquette de chef et compositeur dont je parlais à l’instant.

 Quelques mots sur ces premières semaines avec l’EIC ?

Je suis très heureux, je sens une grande bienveillance, et j’apprécie le fonctionnement de l’Ensemble qui est à la fois très humain et très professionnel. Le directeur musical, Matthias Pintscher, nous donne, à Lucie Leguay et à moi-même, une place dans le travail, et nous en profitons pour échanger sur l’avancée des répétitions de nos séries respectives. Je suis très impressionné par la grande proximité ainsi que par l’écoute qui règne entre l’équipe administrative et l’équipe des musiciens.

 

L’Ensemble a une mission affirmée de transmission, envers des publics néophytes et de jeunes musiciens. Vous avez vous-même une expérience non négligeable dans le domaine. Pouvez-vous nous dire ce que vous en avez appris et comment vous l’envisagez dans le cadre des activités de l’EIC ?

C’est un sujet essentiel qui m’intéresse effectivement beaucoup. Actuellement cette question de la transmission est un véritable défi. En tant que jeune chef et improvisateur, j’ai déjà pu, avec différents orchestres et ensembles, faire des concerts scolaires, de l’orchestre à l’école, aller dans les hôpitaux ou les maisons de retraite, créer un petit orchestre de détenus-improvisateurs dans une prison, faire du Sound-painting dans des comités d’entreprises, etc. En ce qui concerne l’EIC, je suis convaincu que la musique contemporaine peut être transmise aussi simplement que d’autres musiques. Tout dépend des formats et du rapport humain qu’ils permettent d’instaurer.

S’agissant de l’EIC, je serais tout à fait disposé à travailler avec des jeunes publics ou des publics défavorisés, et à développer un réel échange sur le moyen ou le long terme avec un groupe donné. Je suis convaincu que la compréhension et le goût pour la musique passent par une véritable expérience humaine, laquelle est beaucoup plus forte dès lors que la confiance s’installe et que l’expérience se prolonge dans le temps. Dans ce cadre, je pense qu’on doit se concentrer sur un processus créatif, qui se fonde sur de l’initiation à la composition, ou plutôt à la naissance d’idées musicales, ainsi que sur l’utilisation concrète de sons, avec son corps, avec l’électroacoustique ou avec des instruments simples ou fabriqués. Je trouverais merveilleux d’imaginer, par exemple, de jeunes novices jouant avec des solistes de l’EIC, dans une petite création pensée avec (et en) intelligence pour les deux groupes ensemble ! Et de nombreuses autres idées sont encore à trouver…

Au cours de la saison 2017-18, vous avez été chef assistant dans trois orchestres* en même temps. Qu’avez-vous tiré de cette expérience ?

On me demande souvent ce qu’est véritablement le rôle d’un chef assistant. On pense souvent que c’est une fonction assez générale et un peu floue. Je pense que c’est, au contraire, un poste très précis. Avec ces trois orchestres, j’ai travaillé auprès de plusieurs chefs qui plaçaient une grande confiance en ce rôle d’assistant, avant tout parce que l’assistant permet d’avoir des oreilles pour écouter le résultat sonore dans la salle. Grâce à cette expérience, je sais à présent qu’une juste place existe pour l’assistant, une place directement liée au chef principal tout en veillant à ne jamais se confondre avec lui. Ce rôle ne s’apprend que sur le terrain, sur le tas. C’est un mélange d’instinct et de polyvalence. Quand la mayonnaise prend entre le chef, l’équipe et les musiciens, le rôle d’assistant est très agréable à tenir, et permet d’en tirer les merveilleux enseignements des chefs que l’on côtoie.

* Orchestre national d’Île-de-France, Orchestre national de Lille et Orchestre de Picardie

Photos (de haut en bas) : © Franck Ferville / Léo Margue dirige les solistes de l’EIC dans le Triple Duo d’Elliott Carter © EIC / Le chef d’orchestre américain Brad Lubman et Léo Margue © EIC / Léo Margue pendant une répétition de Ode an eine Äolsharfe de Hans Werner Henze avec Pierre Bibault en soliste © EIC