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Vive la curiosité !

Édito By Matthias Pintscher, le 29/08/2019

En avril dernier, alors que je marchais dans la rue au sortir d’une répétition publique, j’ai saisi au vol la conversation de trois personnes qui venaient de nous écouter. L’une d’elles racontait à ses amies qu’elle avait découvert la musique d’Helmut Lachenmann à l’un de nos concerts, deux ans auparavant : ça l’avait tout de suite intéressée, disait-elle, parce que c’était différent. Cette musique avait piqué sa curiosité. « La curiosité est un vilain défaut. » Voilà, je crois, l’un des proverbes les plus faux qui soient ! C’est au contraire une qualité, que nous devons encourager et garder constamment éveillée.

Cette petite phrase sur Lachenmann m’a du reste rappelé ma propre réaction lorsque j’ai entendu pour la première fois Lonicera Caprifolium d’Olga Neuwirth. J’étais tout jeune, nous participions tous deux à une master classe de composition dirigée par Peter Eötvös. Et je me souviens encore de ma stupéfaction en découvrant cette musique à nulle autre pareille, curieuse à plus d’un titre. C’est d’ailleurs autour de cette œuvre, dont les développements s’inspirent de ceux d’une plante proliférante, que nous avons imaginé un Grand Soir intitulé « Cabinet de curiosités ». Un programme dont chaque œuvre est une « curiosité » en soi, et qui nous permet par exemple de créer une pièce de Gilbert Nouno pour trois triangles et électronique !

 

Si l’on prend un peu de recul, cette saison 2019-2020 est un grand cabinet de curiosités. Et ce dès le début de la saison, en septembre, au Théâtre du Châtelet, à l’occasion de sa réouverture après deux années de travaux. Au cours de cette soirée vraiment extraordinaire, le 13 septembre, nous créerons un « ballet » d’un nouveau genre, avec une musique de Pierre-Yves Macé et une chorégraphie proprement renversante de l’Américaine Elizabeth Streb (photo ci-contre). Nous retournerons au Châtelet en mars 2020 avec la reprise d’un spectacle chorégraphique culte de Pina Bausch sur des textes de Bertold Brecht et une musique de Kurt Weill : Les Sept Péchés capitaux. Ces deux productions marquent le début d’une nouvelle collaboration au long cours sur des projets pluridisciplinaires avec cette grande institution parisienne.

 

Pour notre premier concert à la Philharmonie de Paris, le 19 septembre, nous jouerons deux œuvres aussi singulières que saisissantes : Ofanìm de Luciano Berio et la mystique et théâtrale Hiérophanie de Claude Vivier. Le 29 janvier 2020, nous consacrerons une soirée entière à… la neige avec le monumental cycle Schnee du compositeur danois Hans Abrahamsen ! Le 7 février, le Grand Soir numérique livrera lui aussi son lot de curiosités en tout genre, comme, par exemple, une incroyable sculpture sonore cinétique de Moritz Simon Geist (photo ci-contre – DR ). Et pour le dernier concert de la saison, le 22 juin, le compositeur italien Marco Momi s’intéressera quant à lui à… un goût et pas n’importe lequel : l’umami, cinquième saveur avec le sucré, l’acide, l’amer et le salé.

 

Même nos concerts consacrés à nos « références » révèlent un grain de folie : ainsi du concert monographique consacré à Luciano Berio (photo ci-contre – DR ), le 12 novembre à la Cité de la musique, au cours duquel nous interprèterons notamment Sinfonia, en collaboration avec les étudiants du Conservatoire de Paris. Sinfonia est une œuvre un peu « folle ». Berio lui-même la définissait comme un « documentaire sur un objet trouvé ».

 

 

Et si nous jouons cette année le Pierrot lunaire de Schönberg et la Suite lyrique de Berg, c’est pour accompagner le chorégraphe japonais Saburo Teshigawara (photo ci-contre), que nous aurons l’immense plaisir de retrouver (les 13 et 14 mai à la Cité de la musique)  pour la troisième fois depuis l’opéra Solaris au Théâtre des Champs-Élysées en 2015. On ne compte plus cette saison les concerts où la musique sort de son pré carré pour aller à la rencontre d’autres disciplines : un concert axé sur la performance au festival Musica, une création vidéo-musicale (à moins que cela ne soit l’inverse), fruit de la rencontre entre deux géants de la création contemporaine, le compositeur Steve Reich et le plasticien Gerhard Richter (7 mars à la Philharmonie de Paris), un voyage en famille dans le monde astral de Karlheinz Stockhausen avec la compagnie chorégraphique Les Ouvreurs de Possibles (1er décembre à la Philharmonie de Paris), L’Histoire du soldat de Stravinsky récitée et dansée etc. (15 mars à Lyon)

Une « saison des curiosités » en somme, au cours de laquelle sont exposées des « choses » rares, singulières, nouvelles aussi, avec de nombreuses commandes passées à des compositeurs de toutes les générations comme Beat Furrer, Yann Robin, Isabel Mundry, Raphaël Cendo, Clara Iannotta, ou encore Bastien David. Un savant mélange d’œuvres de toutes sortes et de toutes formes qui saura sans aucun doute éveiller la curiosité de chacun tout au long de cette saison.

 

Photos (de haut en bas) : © Eric Garault – Pasco & Co / © Ioulex / DR / DR / © Franck Ferville