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« In Between ». Entretien avec Alexander Fahima et Nándor Angstenberger.

Entretien By Axelle Corty, le 30/03/2019

« In Between » est le titre donné à la soirée très spéciale du 12 avril prochain à la Philharmonie de Paris. Spéciale, car loin du « traditionnel » concert, le metteur en scène Alexander Fahima et le plasticien Nándor Angstenberger ont imaginé une forme d’expérience hybride entre musique, arts plastiques et scénographie. Ils reviennent tous deux sur l’origine d’une production résolument hors des sentiers battus, l’une des plus attendues de la saison.   

Alexander, Nándor, pourquoi avoir intitulé cette soirée « In Between » ? 
Alexander Fahima : L’heure bleue, ce moment du jour où la lumière change, où l’on ne saurait dire si l’on est encore la nuit ou déjà le matin. C’est un moment magique car il offre un point de vue différent sur le monde qui nous entoure. C’est un espace intermédiaire, qui rend attentif. C’est le point de départ de la conception du spectacle.
Nándor Angstenberger : Pour moi, « In Between » désigne le temps très court, de l’ordre de la milliseconde, qu’il faut au cerveau pour choisir entre deux options.

Ce sont des notions très subtiles. Comment parvenez-vous à les restituer dans un spectacle ?
A. F. : Le public doit jouer un rôle. Je dois lui ouvrir des espaces conceptuels qui lui permettront de réagir à chaque instant. Il faut être délicat pour orienter la perception de ce « grand inconnu », le séduire, échapper à ses attentes. Il faut composer un conte audiovisuel, une expérience ludique et sensible avec la musique, le silence, le son, la lumière, les costumes, la narration. Il y a un cocon qui sort de l’obscurité, un tableau qui s’anime dans son cadre, un visage non humain qui regarde à travers les arbres, le piano, hôte habituel du salon bourgeois, qui prend une sonorité inédite…

 

Est-ce une œuvre d’art totale ?
A. F. : Non, si l’on se réfère à la conception wagnérienne erronée d’une interprétation de la musique en images. Je suis fasciné par les possibilités du cinéma, qui parvient à transporter le spectateur dans n’importe quelle atmosphère sans que cela soit lié à l’interprétation des images. En réalité c’est l’intervalle entre les images, l’interaction entre l’image et le son qui offrent une trouée sensible dans laquelle le spectateur doit s’engouffrer. Pour remplir cet espace vide, comme dans un jeu, il doit utiliser son imagination, sa mémoire ou sa connaissance. La Nouvelle Vague a beaucoup exploité ce principe. 
Si notre démarche se révèle couronnée de succès, nos spectateurs éprouveront la musique dans leur propre corps. Ils seront eux-mêmes parties prenantes du concert avec les instruments que sont leurs yeux et leurs oreilles.

D’où est venue l’idée de cette grande installation  en forme de cocon et tissée de fils de laine ?   
N. A. : J’explore ce concept depuis des années. C’est une forme très organique, dans laquelle les fils prennent des allures de circuits de communication, d’ondes cérébrales, de synapses, de toutes ces connections ininterrompues qui aboutissent à des décisions.
Le cocon remplit aussi l’espace. Je l’ai souvent utilisé dans des monuments historiques, dans des pièces qui avaient perdu leur destination d’origine. Il évoquait alors des temps oubliés. Le cocon connecte l’espace et les idées. Dans le spectacle, quatre mille mètres de laine relient les sièges, le piano, le sol, le plafond… C’est une sorte de filet conceptuel qui englobe tout et fait tout tenir ensemble.


A. F. : Une composition, c’est comme un organisme vivant. La création musicale se meut, se transforme dans le temps. Il y a une dimension sculpturale dans une partition. On dit que Mozart aurait composé son Don Giovanni comme une sculpture, qu’il s’est représenté son opéra comme un objet tridimensionnel sur lequel il pouvait, à tout moment, travailler de tous côtés. L’aspect « créature » du cocon de Nándor correspond en tout point à cette idée. Chaque fois que je contemple ses travaux, je prends conscience de la durée nécessaire à leur réalisation. On y sent une pulsation.

 

Alexander, vous avez participé au choix des œuvres musicales avec Matthias Pintscher. Quelle est votre relation avec la musique contemporaine ?
A. F. : J’ai eu la chance de découvrir très tôt la musique contemporaine. Elle a agi sur moi comme un paysage étranger, à la fois dérangeant et séducteur. Quand j’étais jeune, j’ai écouté le Ryoanji de John Cage et depuis, autour de moi, tout a un son, un rythme. J’ai découvert un cosmos sonore. Ce fut donc une grande joie de concevoir le programme avec Matthias Pintscher. Nous avons travaillé comme on écrit un poème. Nos choix ont influencé la conception de l’espace, la lumière, comme si les partitions continuaient à s’écrire dans ces matériaux.

 

Photos : Alexander Fahima – DR / Nándor Angstenberger – DR /   Nándor Angstenberger et Marcell Naubert  dans la salle des concerts de la Cité de la musique © EIC /  Installation de Nándor Angstenberger  dans la salle des concerts de la Cité de la musique © EIC