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Au zarb, musiciens !

Entretien By Benjamin Bibas, le 28/09/2015

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Le 3 octobre 2015  à la Philharmonie de Paris, le concert Au zarb, musiciens ! réunira les frères Bijan et Keyvan Chemirani (droite et gauche de la photo), percussionnistes d’origine iranienne spécialistes du zarb, et trois solistes de l’Ensemble : le percussionniste Samuel Favre (centre de la photo), le violoncelliste Éric-Maria Couturier et le pianiste Sébastien Vichard. Le concert sera animé par Clément Lebrun, qui s’appuiera sur cette rencontre entre deux univers musicaux a priori dissemblables pour éveiller la curiosité sonore du jeune public. Conversation avec les principaux intéressés.
Keyvan et Bijan Chemirani, qu’est-ce que le zarb ?
Keyvan et Bijan Chemirani : Le zarb est un instrument de percussion digitale iranien très ancien, dont l’apparition est difficile à dater. On sait simplement que depuis près d’un millénaire, il accompagne la poésie et le chant de façon assez rudimentaire. C’est un instrument savant, lié à une forme écrite, mais c’est aussi un instrument populaire ; on trouve, encore aujourd’hui, des zarb dans de nombreux foyers iraniens. L’autre nom du zarb, tombak, dit bien, par onomatopée, les deux types de sonorités sourdes et claquantes dont cet instrument est capable.
À partir des années 1950, le zarb s’est émancipé de son rôle traditionnel. Sous l’influence de Hossein Tehrani (1912-1974) notamment, son registre et son répertoire se sont considérablement élargis. En lien avec le violoniste Abolhasan Saba (1902-1957), Hossein Tehrani a développé la technique du zarb, sa tenue, ses doigtés, pour décupler sa palette sonore et en faire un instrument à part entière, que l’on peut jouer en solo, en ensemble ou pour accompagner rythmiquement un instrument soliste plus mélodique. Notre père, Djamchid Chemirani (né en 1942), a été l’un des principaux disciples de Hossein Tehrani. Il a poursuivi son œuvre sur le plan sonore, et il a popularisé le zarb lors de concerts diffusés par la Radio Télévision Iranienne.
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Le concert éducatif « Au zarb, musiciens ! » va mettre cet instrument aux prises avec des pièces du répertoire occidental contemporain. Est-ce la première fois qu’une telle rencontre se produit  ?
Keyvan et Bijan Chemirani : Non, notre père a déjà amorcé un tel dialogue au cours de sa carrière. Dès le milieu des années 1960, celui-ci fut envoyé en France par nos grands-parents pour y poursuivre ses études de mathématiques, puis de musicologie. Mais les hasards et les désirs de l’existence font qu’il y poursuivit surtout la pratique de son instrument, acquérant progressivement une réputation qui lui permit de donner des cours au Centre d’études des musiques orientales (CEMO, université Paris-Sorbonne) et à la Maison de la Radio. Là, il fit la rencontre de grands artistes comme Peter Brook, Carolyn Carlson, Maurice Béjart… Certains compositeurs français, séduits par la virtuosité de son jeu et par les sonorités de son instrument, écrivirent alors des pièces qui incluaient le zarb dans leur instrumentarium. Ainsi naquirent, par exemple, Le Corps à corps (1979) de Georges Aperghis ou Le Jardin d’en face (1985) de Jean-Pierre Drouet.
Samuel Favre : C’est une aventure passionnante qui méritait d’être poursuivie. J’ai pour ma part rencontré le zarb lors d’un stage de percussion avec Djamchid Chemirani et ses fils, et j’ai eu l’occasion d’interpréter plusieurs fois en public Le Jardin d’en face de Jean-Pierre Drouet. Mais cela ne suffit pas, très loin de là, à faire de moi un spécialiste du zarb : la formation du percussionniste occidental est très focalisée sur les instruments à baguettes, au cœur du répertoire classique et contemporain, alors que des instruments digitaux comme le zarb ouvrent toute une palette de sonorités plus graves, plus suaves, plus proches de la voix, plus proches de l’humain. Pour les solistes de l’Ensemble intercontemporain, commencer à s’approprier cet instrument est donc un véritable enjeu musical, mais la réciproque est vraie : que devient le zarb quand on le confronte à des pièces de John Cage, Steve Reich ou György Ligeti qui n’ont pas été écrites pour lui ?
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On pourrait tout aussi bien poser la question en sens inverse : en quoi est-il pertinent d’interpréter, qui plus est devant un jeune public, des pièces occidentales contemporaines avec un zarb ?
Keyvan et Bijan Chemirani : Notre père est un passionné de musique classique persane, comme l’était son maître Hossein Tehrani, mais tous deux ont senti que pour maintenir vivante la pratique du zarb, il fallait constamment élargir ses potentialités et que cela passait forcément par la rencontre avec d’autres instruments, d’autres musiques, d’autres univers culturels. Nous avons appris à jouer du zarb auprès de notre père par mimétisme, en l’observant et en l’écoutant jouer. Toutes ces attitudes, que nous sommes heureux de transmettre dans le cadre d’un concert éducatif, nous ont également disposés à l’écoute du jeu des autres musiciens et à l’improvisation, ce qui a facilité notre travail lorsque des artistes de jazz ou de rock ont fait appel à nous pour les accompagner sur un disque ou en tournée. En jouant avec des musiciens d’horizons divers, nous poursuivons donc l’œuvre de notre père.
Clément Lebrun : Ce concert éducatif est aussi une manière d’introduire à l’univers de la musique contemporaine en dialoguant avec d’autres cultures musicales. Pour moi, les liens entre la musique contemporaine et le zarb ne manquent pas, et le premier d’entre eux est la complexité du rythme. Car c’est bien le rythme qui va être mis en scène dans ce concert. Après avoir exploré des œuvres du répertoire contemporain au son du zarb, les cinq musiciens de l’Ensemble vont aussi créer des pièces, sur le mode de l’improvisation, à partir de musiques composées par les frères Chemirani. Le jeune public sera alors appelé à interagir avec les instrumentistes : on va lui apprendre des rythmes qu’il pourra chanter, répondant aux zarbistes comme dans une sorte de dialogue ou de battle, on ne sait pas trop. La dimension ludique et chantée de ce processus permettra ainsi aux enfants d’assimiler des complexités rythmiques inexplorées. Ce qui nous intéresse dans ce concert éducatif, c’est de voir comment la rencontre entre deux univers musicaux différents peut permettre de transmettre des matériaux sonores de façon active.
 
Improvisation de Keyvan et Bijan Chemirani :

 
Photos (de haut en bas) : Bijan Chemirani, Samuel Favre et Keyvan Chemirani (c) Luc Hossepied pour l’Ensemble intercontemporain / Bijan Chemirani et Keyvan Chemirani DR / Keyvan Chemirani (gauche), Samuel Favre (centre) et Clément Lebrun (droite) (c) Franck Ferville