Entretien avec Peter Eötvös
EntretienPour le programme que vous dirigez le 25 mai à la Cité de la musique, vous avez choisi d’associer deux œuvres de Varèse – Déserts et Ecuatorial – à votre Chinese Opera. Pourquoi ce choix
Stylistiquement, ces trois pièces vont bien ensemble. Elles ont un aspect « robuste ». Ecuatorial, Déserts et Chinese Opera constituent la meilleure combinaison pour la dramaturgie du programme. Varèse fait partie des compositeurs que je dirige fréquemment. J’ai déjà joué plusieurs fois Déserts avec l’Ensemble Intercontemporain. J’ai aussi enregistré Déserts avec l’Ensemble Modern, pour un projet d’intégrale des œuvres de Varèse produit par Frank Zappa, qui était aussi un « fan » de Varèse.
Qu’est-ce qui vous attire le plus dans la musique de Varèse ?
C’est peut-être le contact physique, en tant que chef d’orchestre, qui donne cette « tenue » dans laquelle je me sens bien. J’adore diriger Varèse, j’aime le côté sauvage de sa musique. Les accords, les tempi, les rythmes, c’est ce que je pourrais prendre comme base pour ma pensée musicale, même si je suis complètement différent dans la production de ma musique. En tant qu’« idole », Varèse est l’une des figures qui comptent le plus pour moi. J’aime son côté « paysan ». On ne peut pas l’enfermer dans un style, dans un siècle, c’est une musique qui existe depuis toujours, à la fois ancienne et éternelle. J’aime l’énergie que l’on reçoit de cette musique. C’est comme la musique de Stravinsky : c’est une thérapie !
Varèse est le premier compositeur à prendre en compte le phénomène sonore dans son entier, à intégrer tous les sons et à penser la composition en termes de fréquences, de battements, de sons résultants, d’intensités, etc. Faites-vous vôtre cette conception de l’écriture ?
Je dis toujours que je « compose » les sons. Ce sont les sonorités qui m’intéressent, et je choisis des sons émanant de toutes sortes de sources sonores : des sources musicales, des bruits, des textes parlés, des dialogues… n’importe quels sons. C’était aussi l’idée de Varèse. Je prépare actuellement différents projets d’opéras dans lesquels j’utilise mon expérience du film et du théâtre. Dans un film, on traite les différentes couches sonores, les dialogues, les bruitages et la musique. J’adapte cette technique à l’opéra. Les voix chantées sont employées comme un dialogue de film. Pour que le spectateur soit dans un certain « mélos », qu’il comprenne mieux la situation, j’utilise beaucoup les bruitages. Au cinéma, sans les bruitages, on ne comprendrait pas ce qui se passe. On ne voit pas les choses, mais on les entend et cela donne une information. C’est une nouvelle façon d’écrire des opéras.
Propos recueillis par Philippe Lalitte
Extrait d’Accents n° 23 – avril-juillet 2004
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